Tribune Publiée par Le Monde
15 décembre 2020
Collectif :
Membres ou invités du comité d’éthique de l’Inserm, vingt-cinq médecins et scientifiques plaident, dans une tribune au « Monde », pour que le développement des vaccins s’accompagne de la meilleure information possible du public, dont la confiance a été ternie par des scandales sanitaires récents.
Tribune :
Le développement et le déploiement remarquablement courts d’un ou de plusieurs vaccins anti-Covid-19 constitueront sans aucun doute une réalisation scientifique mémorable, non seulement dans le contrôle de cette pandémie, mais aussi pour la mise en place de nouvelles plateformes
d’innovations thérapeutiques.
En décembre, c’est-à-dire moins d’un an après le début de cette nouvelle émergence virale, plus d’une centaine d’essais cliniques sur des vaccins contre le Covid-19 sont répertoriés sur le site officiel d’enregistrement des essais. Onze d’entre eux sont en phase 3 [la dernière avant la mise sur le marché] et, après des résultats intermédiaires très encourageants, des autorisations d’utilisation en urgence ont été données dans plusieurs pays [le Royaume-Uni a autorisé le vaccin de Pízer et BioNTech le 2 décembre, les Etats-Unis le 11 décembre]. Toutefois l’urgence ne saurait être une justification pour négliger la science et l’éthique, et ce qui devrait impérativement les relier.
Le comité d’éthique de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) tient à souligner l’importance de la transparence et de l’accessibilité des informations en ce domaine. Il s’agit, d’une part, de rechercher et d’assurer la transparence, l’impartialité, la clarté et la diffusion en temps utile des informations sur les essais, en établissant des mécanismes pour clarifier, encadrer et gérer, en toute transparence également, les conflits d’intérêts, notamment ceux qui concernent les
relations avec les entreprises pharmaceutiques.
Il s’agit, d’autre part, de veiller à ce que ces informations – et particulièrement les dispositions visant à rendre les produits de la recherche sûrs et efficaces – soient disponibles et accessibles à tous,
conditions indispensables pour favoriser l’adhésion à une politique nationale de vaccination.
L’investissement des Etats
Il existe de nombreuses étapes à franchir pour assurer un accès juste aux produits de la recherche contre le SARS-CoV2, en particulier aux vaccins. Certaines sont d’ordre technique et scientifique comme la confirmation de la sécurité et de l’efficacité, la capacité de production, de distribution et de
contrôle de la chaîne du froid, la qualification des personnels, les coûts de l’ensemble du processus.
D’autres sont d’ordre sociétal, car le contexte actuel est marqué par un climat de scepticisme voire de défiance envers les vaccinations, dû à la circulation massive d’informations non validées ou carrément mensongères, ainsi qu’à une méfiance particulière associée aux pays d’origine des vaccins. Enfin, l’éthique exige que soit garanti l’accès pour tous aux données scientifiques ainsi qu’aux produits développés. Et comme, dans un premier temps, le nombre de lots de vaccins sera évidemment limité, les raisons d’une priorisation nécessaire devront être clairement explicitées.
Le comité d’éthique de l’Inserm (CEI), dans une note récente sur l’innovation responsable, a appelé à « réfléchir à la place de la recherche publique et à son articulation avec le secteur privé marchand dans le champ des innovations en santé ». Nous sommes ici au cœur du débat, car, en matière d’innovations vaccinales anti-Covid, l’investissement des Etats a été important : ils ont largement financé les recherches académiques qui ont permis de constituer un socle solide de connaissances dans lesquelles le développement des vaccins a pu rapidement puiser.
Or, en confiant les phases finales de développement au seul secteur privé et marchand, une interrogation ne manque pas de planer sur l’arbitrage qui est et sera fait entre l’objectif de santé publique et l’objectif de profit financier, ce qui constitue une des composantes de la méfiance croissante constatée en France.
S’intéresser aux inquiets
Comment regagner la confiance ? La question est évidemment complexe. La tâche est ardue, il faut s’adresser à une partie de la population qui entretient un rejet de principe aux innovations thérapeutiques biomédicales et qui, de ce fait, ferme la porte à toute discussion. Mais ce n’est heureusement pas le cas de la grande majorité de nos concitoyens. L’adhésion à certaines prouesses thérapeutiques récentes comme le sofosbuvir – qui guérit pratiquement 100 % des personnes infectées par le virus de l’hépatite C –, ou les approches immunologiques anticancéreuses des cellules CAR-T [outils d’une thérapie cellulaire dans certains cancers du sang], en témoigne. Ceci ne doit pas interdire aux scientifiques de s’interroger face à l’innovation. Et c’est à une interrogation plus précise sur les réticences face à l’innovation biomédicale que nous invite la
situation de défiance envers les vaccins.
Nous devons nous intéresser à celles et ceux qui expriment leurs inquiétudes face à des formes d’innovation dont l’image a été gravement ternie par des scandales sanitaires récents. Ils posent alors des questions auxquelles nos chercheurs se doivent de répondre avec clarté et précision. A ce titre et concernant la vaccination anti-Covid, chacun a en effet le droit de connaître la nature et l’utilité des composants présents dans les vaccins, le type d’accréditation qualité que doivent obtenir les sites de production, les caractéristiques précises des populations testées et du suivi des volontaires ainsi que les effets indésirables observés.
Mais nous devons aussi dénoncer avec fermeté certains trucages, comme les résultats fabriqués en 1998 par le médecin britannique Andrew Wakefield qui avait faussement prétendu à une corrélation entre vaccination rougeole-oreillons-rubéole (ROR) et autisme. De même, il nous faut dénoncer les mensonges sur un lien entre vaccination contre l’hépatite B et sclérose en plaques, s’appuyant sur l’inconsistance scientifique d’une toxicité des adjuvants utilisés dans certains vaccins.
Coordonner et orienter l’innovation
Pour celles et ceux qui feignent de l’oublier, il nous faut rappeler que la puissance publique assure la qualité des produits mis sur le marché, grâce à ses structures de contrôle et à la riche expertise scientifique de ses instituts publics de recherche. Elle sera à même de garantir la sécurité de ces vaccins, dans la mesure où les liens d’intérêts de tous les acteurs seront publiquement et ouvertement indiqués. Grâce à une protection maladie universelle des plus généreuses, la puissance publique permet en outre à chaque citoyen d’accéder gratuitement à cette vaccination, ce que tant
d’autres pays ne permettent pas.
Bien entendu, il nous faut aussi inviter la puissance publique à reprendre le contrôle de l’innovation thérapeutique en s’instituant comme fédératrice de tous les efforts, publics et privés, permettant d’organiser l’anticipation des besoins en matière de recherche de nouveaux médicaments et de processus de leur production dans notre pays. Si ces questions sont aujourd’hui cruciales dans l’Hexagone, elles le sont en effet d’autant plus dans les pays où une grande pauvreté, souvent associée à l’absence de structures de santé robustes, ne permet pas un accès égalitaire aux soins.
Renforcer les échanges
Enfin, l’Inserm, organisme public, apportera comme il se doit sa contribution à l’information de nos concitoyens. Ses chercheurs sauront ouvrir plus largement leurs laboratoires aux citoyens, renforcer leurs collaborations avec les associations de patients et d’usagers du système de santé, et mieux accompagner les enseignants pour faire connaître aux plus jeunes les exigences et les modalités de mise en discussion des innovations thérapeutiques. De même, des échanges renforcés avec les médias permettront d’enrichir le contenu des informations scientifiques de qualité qu’ils diffusent.
C’est par ces démarches éthiques et scientifiques responsables que nous pourrons envisager de regagner cette confiance, indispensable au déploiement d’un vaste programme de santé publique destiné à contrôler la pandémie actuelle et à réduire la précarité à laquelle de trop nombreux Français sont aujourd’hui confrontés.
- Marion Abecassis, avocate en droit de la santé, invitée permanente du comité d’éthique de l’Inserm ;
- Henri Atlan, professeur émérite de biophysique, ancien chef de service à hôpital de l’Hôtel-Dieu Paris et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS),membre du comité d’éthique de l’Inserm ;
- Bernard Baertschi, Université de Genève, membre du comité d’éthique de l’Inserm ;
- Bertrand Bed’Hom, vétérinaire, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, membre du comité d’éthique de l’Inserm ;
- Mylène Botbol-Baum, professeure de philosophie et bioéthique à l’Université catholique de Louvain, Bruxelles, membre du comité d’éthique de l’Inserm ;
- Catherine Bourgain, directrice de recherche à l’Inserm, membre du comité
d’éthique de l’Inserm ; - Anne Buisson, directrice adjointe de l’Afa-Crohn-RCH (association de patients atteints de Crohn et de rectocolite hémorragique et leurs proches), membre du comité d’éthique de l’Inserm ;
- Hervé Chneiweiss, neurobiologiste, directeur de recherche au CNRS,
président du comité d’éthique de l’Inserm ; - Hélène Combrisson, professeure honoraire de physiologie et pharmacologie à l’Ecole nationale vétérinaire d’Alfort, membre du comité d’éthique de l’Inserm ;
- Christine Dosquet, médecin, présidente du comité d’évaluation éthique (IRB) de l’Inserm ;
- Anne Dubart-Kupperschmitt, directrice de recherche à l’Inserm, membre du comité d’éthique de l’Inserm ;
- François Eisinger, médecin interniste à l’institut Paoli-Calmettes, à Marseille, membre du comité d’éthique de l’Inserm ;
- Ghislaine Filliatreau, directrice de recherche à l’Inserm, déléguée à l’intégrité scientifique, invitée permanente du comité d’éthique de l’Inserm ;
- Laurent Fleury, responsable expertises collectives de l’Inserm, invité permanent du comité d’éthique de l’Inserm ;
- François Hirsch, directeur de recherche honoraire à l’Inserm, membre de la
Conférence nationale des comités de protection des personnes , membre du comité d’éthique de l’Inserm ; - Pierre Jouannet, médecin, membre du comité d’éthique de l’Inserm ;
- Christine Lemaitre, ingénieure en biologie, secrétaire générale du comité d’éthique de l’Inserm ;
- Pierre Lombrail, professeur émérite de santé publique à l’université Sorbonne-Paris-Nord, membre du comité d’éthique de l’Inserm ;
- Flavie Mathieu, épidémiologiste généticienne, ingénieure de recherche et responsable du collège des relecteurs de l’Inserm ;
- Jennifer Merchant, professeure à l’université Paris-II-Panthéon-Assas, membre du comité d’éthique de l’Inserm ;
- Grégoire Moutel, professeur de médecine légale et droit de santé, directeur de l’espace régional de réflexion éthique de Normandie, membre du comité d’éthique de l’Inserm ;
- Israël Nisand, médecin, professeur émérite à l’université de Strasbourg, membre du comité d’éthique de l’Inserm ;
- Isabelle Rémy-Jouet, responsable management de la qualité, ingénieure de recherche à l’Inserm, membre du comité d’éthique de l’Inserm ;
- Catherine Vidal, neurobiologiste, directrice de recherche honoraire à l’Institut Pasteur, membre du comité d’éthique de l’Inserm ;
- Corinne Sébastiani, biologiste, directrice adjointe de l’institut Technologies pour la santé-Inserm, membre du comité d’éthique de l’Inserm.