Information et consentement du malade
La personne de confiance
Les directives anticipées
Introduction
Dans une conception hippocratique, la relation médecin – patient découle directement de la morale aristotélicienne en se fondant sur le primum non nocere.[1] Historiquement, l’action médicale ayant pour finalité de faire du bien, en s’abstenant de nuire, elle se référait au principe de bienfaisance ; il s’agit d’un principe moral selon lequel on fait ce qui est le plus avantageux pour un patient et où l’action médicale est forcément bonne par nature. Dans cette perspective, l’information et le consentement du sujet n’étaient pas reconnus comme nécessaires. C’est cette conception qui a imprégné, au sein de notre société, patients et médecins pendant des siècles. Cette démarche s’était, au fil du temps jusque dans les années 1970, teintée de paternalisme qui, selon la définition consistait à traiter autrui conformément à ce que l’on estimait être le bien d’autrui en subordonnant rarement à ce bien les préférences éventuelles, exprimées ou non, par cet autrui. Cette attitude pouvait être définie comme la croyance selon laquelle il peut être juste de régir la vie des autres pour leur propre bien, sans tenir compte de leurs vœux ou de leurs jugements.
Depuis les années 1970, comme le soulignait Michel Foucault, la santé et la recherche du bien être sont au cœur des préoccupations individuelles, collectives et politiques dans nos pays occidentaux. En regard la question d’un biopouvoir sur les individus a été posée (à travers la génétique, les techniques de procréations, les politiques de dépistage, de prévention, de l’usage de certains psychotropes…) et aujourd’hui les risques potentiels des pratiques médicales sont regardés à la loupe. Si l’on veut un espace démocratique autour des questions de santé et promouvoir la liberté des personnes dans ce domaine, il y a nécessité de lier progrès médical et reconnaissance des attentes sociales ; cette liaison est particulièrement importante dès que l’on touche à des pratiques ayant un fort impact sur la vie des citoyens (qualité de vie, avenir de la personne, handicap, mort, souffrance, procréation, dépistage et prédiction, etc.) d’autant si les bénéfices sont débattus et/ou s’il existe des risques.
Il y a donc désormais nécessité que toute décision impliquant l’avenir d’une ou de plusieurs personnes soit au cœur d’une démarche éthique anticipatrice, partageant les informations sur les bénéfices, les doutes, les incertitudes et les risques.
Cette démarche est à la base d’une éthique de la responsabilité, traduction du principe fondateur de H. Jonas où toute pratique qui comporte risque ou incertitude, pouvant mettre en cause une valeur particulière de l’humain doit être débattue, collectivement d’abord, puis individuellement, dans le cadre du colloque singulier avec le patient. Ceci est d’autant plus vrai que l’évaluation du risque et le sens qu’on lui donne vont au-delà d’un calcul de probabilité dans la mesure où ils rencontrent la construction sociale et les choix d’un individu qui accepte ou non une prise de risque et un niveau de risque en fonction de la conception qu’il donne à sa vie.
Aujourd’hui, du fait d’une démocratisation et généralisation progressives, depuis une trentaine d’années, de l’accès au savoir médical, la demande de participation des patients à la démarche de soins est croissante, posant la question de la liberté de choix des malades et questionnant de plus en plus les domaines où celle-ci serait niée. En effet de nombreux témoignages ont pu montrer que des patients se sentaient mal informés concernant la nature de leur traitement, leurs effets, mais aussi l’organisation de leur parcours de soins et des prises en charge et les impacts sur leur vie quotidienne, familiale, affective ou professionnelle.
Dès lors, la pratique médicale est devenue un domaine où la participation du patient aux choix qui le concernent est reconnue comme un droit (quand cela n’est pas rendu impossible par un état de grande vulnérabilité et de perte d’autonomie psychique liée à la maladie). Ce devoir d’information vis-à-vis du patient a été sacralisé dans la législation française, d’abord dans un texte de loi encadrant la recherche biomédicale en 1988, puis dans les lois de bioéthique en 1994. Ces textes encadrent la question de l’information et du consentement dans des cas particuliers comme par exemple la recherche biomédicale, les pratiques de dons d’organes, l’assistance médicale à la procréation et la réalisation de tests génétiques ; domaines où l’information et le consentement se doivent d’être donnés et recueillis par écrit.
Respecter le patient, c’est en premier lieu l’informer
En 2002, la législation a reconnu à travers la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi du 4 mars 2002 le droit à l’information et au consentement dans toutes les pratiques de soins.
Cette reconnaissance du droit à une information de qualité pour les patients découle de l’évolution de la société dans laquelle le citoyen devient acteur dans le domaine de la santé.
Au-delà des règles et des formalismes, la démarche d’information fait appel à la capacité de compréhension du sujet, confronté au discours médical. On peut ici vraiment parler de “compréhension”, au sens étymologique du terme: le patient “prend avec” lui les éléments qu’on lui donne, les confronte à son vécu, à ses appréhensions, et donne de sa maladie une représentation avec laquelle il va pouvoir vivre et qui sera à la base de son dialogue avec le médecin.
Le devoir d’information recoupe donc deux niveaux :
- le premier d’ordre éthique, où la place de l’autonomie du patient dans la relation de soin est de plus en plus reconnue et promue, fondement démocratique du respect et de la protection des personnes ;
- le second d’ordre juridique qui se traduit par l’obligation de délivrer une information de qualité permettant une acceptation ou un refus éclairé de la part du patient.
Pour cela une information de qualité doit répondre à plusieurs objectifs : assurer la délivrance d’une information dans le respect des principes de transparence et d’intégrité, en se fondant sur les données actuelles de la science et de la médecine ; éclairer le patient sur les bénéfices et les risques, reposant sur des données validées et, le cas échéant, exposant les zones d’incertitudes ; éclairer, au-delà des bénéfices et des risques, sur : le déroulement des soins, les inconvénients physiques et psychiques dans la vie quotidienne, l’organisation du parcours de prise en charge au fil du temps et les contraintes organisationnelles entraînées, les droits sociaux de la personne malade et les aides et soutiens accessibles si besoin ; participer au choix entre deux démarches médicales ou plus dès lors qu’elles sont des alternatives validées et compatibles avec la situation d’un patient. |
Notre société est de plus en plus attentive à tous ces points sur lesquels le niveau d’exigence et de vigilance vis-à-vis des professionnels de santé est croissant[2]. Tout manquement peut aboutir à une mise en cause de la responsabilité (au plan moral, juridique, déontologique et politique) des professionnels et des institutions de santé.
Mais ce qui importe avant tout, au-delà de ces éventuelles mises en cause de responsabilité, c’est de considérer cette question sous l’angle du respect de l’autre (ici du patient), dans une démarche altruiste (en se mettant « à la place de ») avec une volonté d’asseoir une éthique professionnelle visant à une codécision éclairée entre soignant et soigné.
Le consentement : socle de la protection et du respect des personnes
L’exigence du consentement d’un patient est fondée sur le principe de l’intangibilité de la personne humaine. Noli me tangere précisait le droit romain, c’est-à-dire que tout individu a un droit fondamental à son intégrité corporelle. Il convient donc d’avoir le consentement d’un patient, dès qu’il est conscient et à même de donner son accord, préalablement à toute intervention sur sa personne, c’est-à-dire avant mise en route de toute démarche diagnostique, thérapeutique ou toute action de prévention.
Les articles du code civil précisent en ce sens que « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie » ; et que : « Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. »
Pour que le consentement soit valide, il faut toujours avoir à l’esprit qu’il repose sur la qualité de l’information délivrée et comprise par le patient ; en effet comment donner sens à un consentement recueilli alors que le patient aurait reçu une information de piètre qualité, le privant de la possibilité de faire un choix éclairé. C’est pour cette raison que l’obligation d’information entraîne, si elle n’est pas respectée par un soignant, des conséquences importantes en termes de responsabilité.
Aujourd’hui, la médecine a intégré la démarche d’information et de recueil du consentement dans la relation soignant – soigné comme un acte d’échange et de dialogue source d’informations, afin que le patient comprenne les buts poursuivis, participe à la démarche de soins – y compris en termes de surveillance (en particulier lorsqu’il se retrouve à son domicile) – et organise sa vie (activités familiales, professionnelles, agenda, etc.) en fonction des contraintes.
Informer est un art majeur
En pratique, cette démarche doit être effectuée d’une part en permettant au patient de la comprendre et d’autre part en veillant à ne pas générer d’angoisse chez lui. On connaît en pratique clinique parfois la difficulté à informer, en particulier face à des patients très angoissés, où la vérité est difficile à dire et que certains ne sont pas en mesure de supporter. Certains anciens médecins faisaient alors référence à Saint-Thomas, en le citant, pour justifier de ne pas informer un patient : « L’homme préfère un mensonge à la vérité qui éclaire ». Mais sauf cas exceptionnel, ce type d’approche est révolu. On estime que tout patient a le droit de savoir, pour participer à l’organisation de son parcours de soins, mais aussi pour organiser sa vie en conséquence, tant sur des aspects quotidiens que sur des choix fondamentaux. Informer est une démarche complexe mais, comme toute compétence médicale, elle s’apprend ; cet apprentissage intègre d’une part la façon de délivrer l’information et d’autre part l’accompagnement du patient au décours, avec humanisme et psychologie.
Le droit donne à cette évolution une dimension complémentaire car il inscrit l’information et le consentement dans un cadre contractuel visant à juger, en particulier en cas de conflits, de la qualité de la pratique médicale. Les questions de la qualité et de l’exhaustivité de l’information font partie de ce cadre.
Un cas rare doit cependant être mentionné : celui de la volonté de ne pas savoir. Ceci peut constituer une exception au devoir d’information du patient s’il a clairement exprimé (données et arguments qui doivent être notés dans le dossier médical) d’être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic graves, voire de toute information concernant sa santé et sa prise en charge. Toutefois, les règles juridiques et déontologiques précisent que cette exception ne peut s’appliquer lorsque des tiers sont exposés à un risque de contamination. Cette précision, inspirée du cas du sida, vaut pour toutes affections contagieuses graves et s’impose en raison de la responsabilité du patient vis-à-vis d’autrui et dans un intérêt de santé publique.
Jusqu’où informer : la question des risques graves ou exceptionnels
Deux types de situations peuvent se présenter, dans la pratique médicale, selon qu’il y a, ou non, un choix entre différentes hypothèses diagnostiques et/ou thérapeutiques.
Dans le cas (le plus fréquent) de proposition, à l’exclusion de tout autre option, d’un traitement reconnu et validé par la médecine, l’information n’a pas, pour finalité première, un choix thérapeutique (sauf à opter pour un refus de soins). Il s’agit d’exposer, de manière “intelligible” le bien-fondé de la proposition avancée, afin de recueillir l’assentiment du patient et, éventuellement, ses réserves, lui permettre de solliciter les aides dont il pourrait avoir besoin ainsi que d’organiser sa vie en conséquence. Il s’agit là d’une information d’ordre médical et social, préalable à l’adhésion (ou au refus) aux soins proposés, avec un objectif d’éducation à la santé propre à améliorer l’observance des prescriptions et optimiser l’efficacité du traitement.
Dans les cas d’alternatives diagnostiques ou thérapeutiques, l’information s’inscrit, en revanche, dans une démarche de choix où, en théorie, après avoir été informé, le patient peut opter pour une proposition, plutôt qu’une autre.
Jusqu’où aller dans la délivrance de l’information ? Doit-on parler de tous les risques, y compris ceux de décès liés à un traitement ou de ceux dont la survenue est exceptionnelle ?
Les réponses se trouvent dans l’évolution des règles de droit qui régissent la délivrance de l’information à un patient. Plusieurs critères sont ainsi établis pour définir le cadre contractuel qui unit un médecin et son patient :
- la capacité des personnes à contracter entre elles (médecin diplômé, inscrit au Conseil de l’ordre d’une part ; patient, majeur, juridiquement capable d’autre part) ;
- des critères de qualité concernant l’engagement du professionnel (obligation de moyens, respect du secret professionnel, etc.) mais aussi du patient (suivi des prescriptions et des règles de surveillance) ;
- une cause licite à l’action médicale : un but médical clair et légitime justifiant l’action médicale portant atteinte à l’intégrité du patient ;
- le recueil du consentement après une information de qualité, sans pression sur le patient, c’est-à-dire un consentement éclairé et libre.
L’information et le consentement s’immiscent donc, dans cette approche juridique, comme l’un des critères de validité du contrat.
Concernant les caractéristiques de cette information, la chambre civile de la cour de cassation soulignait le 21 décembre 1961, qu’elle devrait être « simple, approximative, intelligible et loyale ». Depuis 1995, le code de déontologie médicale dans son article 35 stipule :
« Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension. »
Code de déontologie médicale, article 35
On constate que les termes « simple » et « approximative » ont disparu, traduisant en cela une volonté d’être plus rigoureux dans la démarche et en refusant une trop grande simplicité ou approximation.
Concernant les risques (sachant que tous les actes médicaux, toutes les prescriptions, même les plus habituels, en comportent), l’information doit les intégrer dans la mesure où ils sont normalement prévisibles.
À propos des notions de rareté et de sévérité du risque, en 2000 le Conseil d’État (juridiction administrative, qui régit des conflits impliquant des hôpitaux publics) a précisé que le seul fait que les risques ne se réalisent
qu’exceptionnellement ne dispense pas le praticien de son obligation et que lorsqu’un acte médical comporte un risque de mort ou d’invalidité le patient doit en être informé, même si sa réalisation est exceptionnelle.
Ces évolutions ont abouti à la loi du 4 mars 2002, qui précise que tous les risques fréquents ou graves, normalement prévisibles, doivent être portés à la connaissance du patient avant réalisation d’un acte, mais également a posteriori (entendre à court, moyen et long terme), si des conséquences et risques nouveaux sont mis en évidence.
« Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l’exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d’impossibilité de la retrouver. »
Loi du 4 mars 2002
Règles et critères pour évaluer la qualité de l’information délivrée
Le devoir d’information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispenser. Cette information est délivrée au cours d’un entretien individuel, dans le cadre d’un dialogue. Rappelons que la finalité de l’information est double :
- respecter l’autonomie de choix du patient en lui donnant tous les éléments qui permettent de prendre une décision éclairée, c’est-à-dire de consentir aux soins proposés ;
- apporter tous les éléments lui permettant de participer à son parcours de soins et de bénéficier de tous les conseils et aides nécessaires à l’organisation de sa vie
La délivrance de cette information se fait en premier lieu et avant tout au patient. Si celui-ci le souhaite (c’est-à-dire avec son accord, afin de ne pas violer le secret médical à son insu), elle peut être réalisée en présence d’un proche ou d’une personne de confiance. Cependant, afin que le patient demeure libre de parler de points qu’il ne souhaiterait pas évoquer en présence du tiers, il est important de lui proposer que l’entretien soit tout d’abord singulier, et que le tiers ne soit invité que secondairement. Concernant les patients mineurs et incapables majeurs, la délivrance de l’information est réalisée auprès des parents ou des représentants légaux mais sans exclure le patient de l’accès à une information. Le patient doit, dès que son âge et sa situation le permettent, recevoir lui-même une information adaptée à son degré de maturité. Pour les mineurs, dans la mesure du possible, l’information est donnée aux deux titulaires de l’autorité parentale. Si un seul est présent, le professionnel de santé expose à celui-ci la nécessité d’informer l’autre titulaire de cette autorité, que le couple soit séparé ou non. Dans les situations à pronostic ou risque grave, il est préférable d’avoir un entretien avec les deux parents.
Au quotidien, la délivrance de l’information doit répondre à certaines règles de bonne pratique : reposer sur des données complètes, validées et actualisées par rapport aux avancées de la médecine et de la science (en pratique cela signifie que les données doivent être à jour) ;être compréhensible par tous (éviter les formulations médicotechniques qui relèvent de termes et de compétences professionnels) ;enfin, en termes de contenu, répondre à cinq points essentiels, qui doivent être abordés et discutés avec tout patient et son représentant : les buts de la démarche médicale,ses avantages et ses inconvénients,ses risques, ainsi que les risques de sa non-mise en œuvre,les contraintes générées et l’impact sur la vie quotidienne,les aides et soutiens possibles : droits sociaux, aides (professionnelles et/ou associatives) pour faciliter le cheminement de la personne dans le parcours de soins et sa vie quotidienne. |
Place de l’écrit et question de la traçabilité de l’information et du consentement
En pratique, concernant la forme, l’information doit demeurer avant tout orale. Elle peut être aidée par la remise de documents pédagogiques d’information appropriés au patient. En dehors de cas précis prévus par la loi (don d’organe chez un vivant, recherche biomédicale, étude génétique, assistance médicale à la procréation, refus de soins, etc.), le document d’information n’est pas un document visant un recueil de consentement écrit signé. Il est exclusivement destiné à donner au patient des renseignements lui permettant d’y revenir une fois de retour dans sa chambre ou chez lui et de susciter si besoin des questions.
Le document d’information doit répondre aux mêmes critères de qualité que ceux mentionnés ci-dessus. Par ailleurs est recommandé que l’élaboration des documents d’information se fasse de manière collégiale, au sein des sociétés savantes de médecine ou des groupements et institutions de santé, testés sur des patients et validés avec des représentants d’usagers. Une telle information consensuelle a en effet l’avantage de produire un référentiel, issu d’experts.
Ces documents doivent inviter les patients à poser aux médecins toutes les questions qu’ils souhaitent. Ils peuvent être agrémentés de supports visuels ou renvoyer à des sites internet avec animation de schémas ou de vidéos. Il est souhaitable qu’ils soient traduits ou expliqués dans la langue du patient.
Une autre question, médico-légale, concerne la traçabilité de l’information délivrée, c’est-à-dire les éléments qui permettent, en cas de contentieux, de prouver sa bonne délivrance au patient. Le 25 février 1997, un arrêt de la cour de cassation, dit « Arrêt Hédreul » – du nom du patient concerné – a cassé et annulé le jugement d’une cour d’appel concernant une coloscopie avec ablation de polype, à la suite de laquelle le patient avait présenté une perforation intestinale, dont il disait ne pas avoir été informé du risque. Dans un premier temps, la cour d’appel avait débouté le patient, en estimant que celui-ci devait apporter la preuve que le médecin ne l’avait pas averti. La cour de cassation, dans son arrêt, réaffirme que le médecin est tenu à une obligation particulière d’information vis-à-vis de son patient ; elle affirme également qu’il incombe désormais au médecin de prouver qu’il a exécuté cette obligation (créant ce que l’on a appelé l’inversion de la charge de la preuve, qui n’incombe plus au patient). Néanmoins, il faut noter que la cour intègre la réalité de ce qu’est le déroulement d’une consultation, en précisant que les modalités de la preuve restent libres et que, selon son arrêt du 14 octobre 1997, la preuve de l’information peut être faite par tous les moyens, hormis les cas où une disposition légale spéciale impose un mode de preuve particulier (comme le recueil d’un consentement écrit, par exemple, dans la recherche médicale, ou pour les prélèvements d’organes chez donneurs vivants).
Depuis cette décision on a vu se développer des brochures ou des fiches d’informations sur les examens et les thérapeutiques. Cependant, il faut rappeler que ces documents, bien que recommandés, et même si certains les font signer par les patients, n’affranchissent pas les médecins et les structures de soins d’autres approches. En effet, la qualité de l’information délivrée porte sur d’autres aspects, qui seront également pris en compte en cas de litige. Seront ainsi considérés : les temps de consultations, les réunions d’information réalisées par les structures de soins, les brochures remises aux patients, les courriers échangés entre les médecins (en particulier avec le médecin traitant) avec copies remises aux patients, les éléments du dossier médical transmis aux patients.
Il est important que tous ces temps d’information soient notés dans le dossier médical (par qui, en présence de qui, à quelle date), ainsi que les difficultés éventuellement rencontrées lors de leur délivrance. Il est important également de mentionner les situations où les démarches d’information auront été impossibles ou complexes, en argumentant en fonction de la situation clinique et sociale du patient.
Il convient donc de ne pas oublier qu’un document écrit n’affranchit pas le médecin de tous les autres modes d’information qu’il jugera nécessaire et en particulier que le temps oral relationnel passé avec ce dernier est majeur.
Désigner une Personne de confiance
Outre l’optimisation du droit à l’information du patient, d’autres droits ont permis la mise en place de nouvelles pratiques utiles à l’amélioration de la relation soignants – soignés.
Le droit de désigner une personne de confiance est inscrit dans l’article L.1111-6 du CSP (code de la santé publique).
Depuis longtemps, les équipes soignantes sont soucieuses de voir comment un proche du patient, tiers relationnel et médiateur, peut aider à construire du lien dans les parcours de prise en charge et porter la parole du patient, en particulier là ou ce dernier ne peut ou ne veut participer seul à la décision. Cette réflexion s’est traduite par l’introduction, dans la loi dite de « démocratie sanitaire » du 4 mars 2002, de la notion de « personne de confiance ».
La personne de confiance dans son acception première, a pour rôle premier, après désignation par le patient (désignation qui permet alors un partage du secret), d’assister ce dernier dans ses démarches de soins, de l’accompagner physiquement et/ou psychologiquement et de faire le lien avec les équipes médicales. Elle est donc un accompagnant du soin au quotidien et des démarches de choix et de décision que fait le patient.
Ce rôle premier mérite d’être rappelé car, parfois, la personne de confiance n’est encore perçue que comme un interlocuteur des situations de crises majeures, comme par exemple, les arrêts ou limitations de soins en fin de vie ou la question du prélèvement d’organes post-mortem ; situations où la personne de confiance est amené à témoigner des désirs du patient.
La mission d’accompagnement dans le parcours de soins classique est importante.
Y compris hors du cadre hospitalier, tout personne prise en charge dans notre système de santé peut ressentir le besoin d’être accompagnée par un proche, indépendamment du statut de sa maladie (que ce soit dans le cadre de pathologies sévères mais aussi de pathologies « banales » et courantes). Par ailleurs, tout citoyen, même non malade, bénéficiant d’une prestation de santé (par exemple un dépistage, une action de prévention, une prise de sang, une radiologie, etc.), peut souhaiter aussi une présence à ses cotés. Enfin tout un chacun, peut se trouver accidentellement en situation de décision complexe de fin de vie.D’un point de vue plus collectif, on doit donc proposer cette possibilité de désignation à tout citoyen, dès lors qu’il rencontre son médecin, dans la mesure où la loi prévoit que la personne de confiance soit consultée pour témoigner de la volonté du sujet, pour connaître les désirs d’une personne pour une décision d’arrêts ou limitations de soins de réanimation ou pour la question du prélèvement d’organes post-mortem, autant de situations qui peuvent survenir accidentellement indépendamment d’une maladie.
La désignation d’une personne de confiance doit donc sortir du cadre des pathologies sévères et des seules situations d’hospitalisation pour devenir une possibilité citoyenne, proposée à tous en population générale, indépendamment de l’état clinique. En pratique, patients et proches ne connaissent pas forcément cette procédure. Il est du devoir de tout soignant et de toute institution de soins de la proposer. |
Il faut d’abord exposer que tout proche majeur peut être personne de confiance : frère, sœur, parent, grand-parent, oncle, tante, conjoint, concubin, ami, membre d’associations, etc.
Il faut expliquer au patient les buts de cette désignation, tout en expliquant aussi qu’elle n’a rien d’obligatoire. C’est une possibilité que le patient doit pourvoir choisir (accepter ou refuser s’il n’en ressent ni le besoin ni le désir), a fortiori s’il souhaite que le secret soit gardé totalement ou s’il veut protéger tous ses proches et taire sa maladie.
En regard, dans les années passées, on a pu constater que parfois des personnes de confiance désignées ne savaient pas qu’elles ont été choisies par un patient, n’étant pas présentes et non associées à la démarche de désignation ; on pouvait émettre alorsun doute sur leur légitimité à participer par la suite à une éthique de la discussion concernant le patient. C’est pour cette raison que désormais la designation, faite par écrit par le patient, doit être cosignée par la personne désignée. [3]Il faut donc organiser correctement cette procédure de désignation et de recueil de la personne de confiance, en veillant à ce que, au sein de l’équipe soignante une personne référence soit responsable pour informer le patient, puis la personne désignée.
Le rôle du soignant est de conseiller le patient en fonction du vécu de la maladie, de l’environnement familial ou affectif parfois complexe. Il faut expliquer que la désignation, comme la non-désignation, sont des choix tout à fait légitimes. C’est en ce sens que le code de la santé publique stipule qu’il y a une obligation à proposer une personne de confiance mais non une obligation de désignation. Le fait de laisser cette liberté au patient et de le guider au mieux de ses intérêts est ici une responsabilité d’ordre éthique. Lors de la délivrance d’explications, la question de la rupture du secret vis-à-vis du proche désigné devra être discutée (jusqu’où le patient souhaite-t-il aller vis-à-vis des confidences, à quel moment, etc.).
Concernant les personnes désignées, plusieurs points importants seront à évoquer, en particulier ceux de la disponibilité, de leur volonté de remplir cette mission, essentiels pour donner sens à la démarche.
Une explication sur la durée de validité de la désignation d’une personne de confiance sera donnée : la Loi ne prévoit pas de limite de validité de la désignation effectuée. Cependant, les aléas relationnels de la vie et l’évolution du vécu de la maladie par un patient impliquent que les choses peuvent évoluer et changer au fil du temps. L’esprit de la loi et la variabilité légitime des choix d’une personne amènent à dire qu’il convient d’informer le patient sur le changement possible de personne désignée. La désignation est en effet révocable à tout moment par le patient. Pour les professionnels de santé la recommandation est qu’il convient d’interroger le patient à chaque nouvelle hospitalisation ou à chaque nouveau cycle de prise en charge sur la pérennité de la personne désignée.
La désignation devra in fine se faire par écrit signée par le patient et par la personne désignée et être notée dans le dossier médical, avec les coordonnées précises et la nature des liens entre patient et personne désignée, incluant les mises à jour.
Rédaction de directives anticipées de fin de vie
La loi du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie, instaurait la possibilité du refus de soins, dès lors que ces derniers apparaissent «inutiles, disproportionnés, ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie». Ce refus se concrétise par un arrêt ou une limitation des soins, curatifs ou palliatifs avec, pour conséquence, le décès, à plus ou moins court terme, du patient. Cette démarche autorisée par la loi a pu être qualifiée de «droit au laisser mourir». La loi n° 2016-87 du 2 février 2016, dite loi « fin de vie » est une évolution de celle de 2005 et renforce les droits en faveur des personnes malades en fin de vie, et précise le rôle important que peuvent jouer les directives anticipées.
En situation de fin de vie, en terme éthique, ce qui va être déterminant, c’est le degré d’autonomie de pensée du patient, véritable critère de qualification de sa capacité à développer une argumentation cohérente et réfléchie face à une telle décision.
De manière pratique, deux cas de figure se dégagent :
1) Si le patient est conscient et capable de participer à une délibération, étayée par l’acquisition d’un savoir suffisant concernant sa maladie et son évolution (transmis par le médecin), il sera associé à cette décision. Médecin et patient construisent alors un échange complexe et intime où le patient exprime son incapacité à lutter davantage et son souhait de ne pas prolonger sa vie. Ainsi, un dialogue peut se nouer et permettre d’attester, au fil du temps, de la légitimité et de la réalité d’une demande de fin de vie. Le médecin peut donner alors suite à la demande formulée, après discussions et réflexions approfondies avec le patient.
2) Pour les patients dans l’incapacité de s’exprimer, il s’est construit un large consensus sur l’importance de rechercher son avis pour l’intégrer à la décision. C’est pourquoi la loi dans de 2005 précise que «lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale, d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement, inutile ou impuissant à améliorer l’état du malade, après avoir respecté la procédure collégiale et consulté la personne de confiance, la famille et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne. » On fait intervenir ici, pour s’approcher du respect de la volonté du patient, la notion de témoignage de ce que la personne aurait souhaité. Ce témoignage peut être porté par écrit par le patient (directives anticipées) , ou verbalement par les proches, en particulier par la personne de confiance (si le patient en a désigné une).
Le principe des directives anticipées est né aux Etats-Unis ; appelées aussi testament de vie, à la fin des années 1960, pour permettre l’intégration de l’avis des patients dans le processus décisionnel de fin de vie. En 1990, le Patient Self Determination Act, voté par le Congrès aux États-Unis, a rendu obligatoire une information au patient sur ces directives anticipées, lors de l’admission dans tous les hôpitaux. De même, il oblige les professionnels à vérifier systématiquement si leurs patients ont – ou non – établi de tels documents, et de l’indiquer dans le dossier médical. En France, une enquête révélait que, en 2000, seulement 6 % des patients faisant l’objet d’une limitation des thérapeutiques actives (LATA) en réanimation disposaient de directives anticipées ou avaient désigné un interlocuteur (équivalent de la personne de confiance) habilité à les représenter. C’est pourquoi la loi de 2005 a instauré ce dispositif avec pour objectif que les professionnels le proposent aux patients, sans l’imposer, et aient pour obligation, dans le cadre d’une démarche d’arrêt ou de limitation des soins, de rechercher si des directives ont été rédigées.
L’évolution de la loi en 2016 était nécessaire pour rappeler que le refus de tout traitement en fin de vie est un droit du malade et que ses volontés doivent être respectées. Elle avait aussi pour objectif de renforcer et préciser la place des directives anticipées. Ce texte de 2016 réaffirme enfin le droit au soulagement de la souffrance et instaure un droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès.
Ce que la loi souligne pour les patients en situation de fin de vie , à propos des directives anticipées • Une obligation pour les professionnels de santé de mettre en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que toute personne ait le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. • La reconnaissance d’un droit pour le patient, à l’arrêt ou à la limitation de traitement au titre du refus de l’obstination déraisonnable. • Une obligation pour le médecin de respecter la volonté de la personne de refuser ou de ne pas recevoir un traitement après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. • Un rôle renforcé d’information des médecins auprès de leurs patients sur la possibilité de rédaction de directives anticipées.• Le fait que les directives anticipées inscrites dans la loi sont désormais opposables, c’est-à-dire que les médecins référents d’un malade inconscient doivent suivre les perspectives écrites dans ce document si celles-ci sont appropriées à la situation médicale. • Le fait qu’il existe un hiérarchie concernant les moyens de tracer la volonté d’un patient ; d’abord les directives anticipées, puis à défaut le témoignage de la personne de confiance, puis à défaut tout autre témoignage de la famille ou des proches. |
L’idée est que chaque clinicien puisse parler de cette loi sur la fin de vie, des directives anticipées et de leur place par rapport à la personne de confiance, au moment opportun, en fonction de l’évolution de la maladie, avec son patient.
L’idée est aussi que tout citoyen, informé de cette possibilité, puisse librement rédiger de telles directives et les tenir à disposition des soignants en cas de besoin.
Il convient donc aujourd’hui de promouvoir une information sur ce sujet de la fin de vie, sur l’accompagnement et sur le fait que les directives doivent être, si un patient ou un citoyen en a rédigé, transmises au médecin et aux équipes qui le suivent.
Pr Grégoire Moutel
[1] Ce principe se trouve dans le traité des épidémies (I, 5) d’Hippocrate, 410 av. J.C. environ, qui définit le but de la médecine : Avoir, face aux maladies, deux choses en vue : être utile ou du moins ne pas nuire.
[2] Haute Autorité de santé (HAS), Délivrance de l’information à la personne sur son état de santé. Principes généraux, Mai 2012, https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2012-06/recommandations_-_delivrance_de_linformation_a_la_personne_sur_son_etat_de_sante.pdf
[3] Article L1111-6 du Code de Santé Publique (CSP), modifié par LOI n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, JORF n°0028 du 3 février 2016