Ethique et informatisation du Dossier Médical Personnalisé

Une nouvelle étape est franchie, en ce début du XXIe siècle, avec le lancement de l'informatisation de tous ces éléments, dans le cadre d’un dossier médical personnel global, appelé DMP (...). Pr Grégoire Moutel

Ethique et informatisation du Dossier Médical Personnalisé

Le dossier médical est l’élément central dans la relation médecin-patient. Officiellement, en France, l’obligation de tenir un dossier a été formalisée a minima en 1995, dans le Code de Déontologie, dont l’art.45  indique que: « le médecin doit tenir pour chaque patient une fiche d’observation qui lui est personnelle; cette fiche est confidentielle et comporte les éléments actualisés, nécessaires aux décisions diagnostiques et thérapeutiques ».

Une décision de justice – l’arrêt Hédreuil – en 1997, va renforcer la nécessité

d’un  dossier pour chaque patient, par l’obligation d’information et de traçabilité imposée, de fait, aux médecins. Il y est stipulé, en effet, que: « celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation ». Le médecin entrant dans cette catégorie, il est tenu de prouver qu’il a informé son patient. Jusqu’alors, c’était à ce dernier de faire la preuve qu’il n’avait pas été informé. Le fait de lier l’obligation d’information du patient, par le médecin, à sa preuve, s’est concrétisé, entre autres procédures, par une réflexion sur l’évolution de la tenue du dossier médical et de son contenu.

Des registres médicaux hospitaliers au Dossier Médical Personnalisé (DMP)

La démarche médicale d’établissement d’un dossier du patient est fondée sur l’observation du malade et sur le suivi de l’évolution de sa situation. Les informations recueillies auprès des patients ont, historiquement, constitué des éléments irremplaçables pour la transmission des données entre médecins, ainsi que pour la transmission du savoir et des connaissances médicales. Au IXe siècle, déjà, des médecins arabes, – Rhazès (865-925), Avicenne (930-1037) ou Avenzoar (1073-1162) – ont ainsi consigné, dans des registres, l’historique de cas intéressants. A partir du XVIIe siècle, les données médicales sont rassemblées sous forme de registres médicaux de patients, à visée épidémiologique, nosologique et administrative. La notion de dossier médical individuel affecté à chaque patient n’apparaît qu’au XVIIIe siècle, dans les hôtels-dieu. Le contenu en reste succinct et limité au descriptif de l’état du patient à son entrée, et de son devenir au terme de son séjour dans l’institution. C’est au XIXe siècle qu’apparaît ce que l’on pourrait appeler un dossier de suivi régulier des soins. Avec la création d’hôpitaux plus modernes, le dossier médical se systématise, est étendu à toute personne hospitalisée, et inclut des données médicales, sociales et administratives. Le contenu médical repose sur des prises de notes datées, destinées à guider la pratique du médecin et à l’aider dans sa mémorisation, au jour le jour, de la situation des patients. Le dossier sert aussi de support à la prescription destinée aux pharmaciens et au personnel soignant. En médecine de ville (au cabinet du médecin ou au domicile des patients), le principe de l’oralité demeure la base de la pratique médicale jusqu’au début du XXe siècle, avec cependant l’apparition progressive de fiches médicales, plus ou moins exhaustives, selon les praticiens.

Les progrès – et la complexité croissante – de la médecine, la nécessité de mieux suivre les patients et la pression de plus en plus forte que ceux-ci vont exercer pour être mieux informés de leur état de santé, vont, progressivement, engendrer une nécessaire et inéluctable évolution du dossier médical.  Dès les années 1930, aux Etats-Unis, certains hôpitaux, comme la Mayo Clinic, accordent une grande importance au dossier du patient, pour améliorer la pratique des soins, mais aussi comme support de la recherche médicale. En 1931, aux USA, un “medical record”, enregistrement de qualité des données médicales dans les hôpitaux, était considéré comme une exigence éthique. En France, l’évolution du dossier est amorcée dans les années 1950, avec la mise en place d’une feuille de surveillance clinique et d’une feuille de température, remplies quotidiennement, ainsi que d’une feuille du suivi de délivrance des médicaments. Il s’enrichit dans les années 1960, avec l’intégration progressive des comptes-rendus des examens complémentaires (biologie et radiologie essentiellement). Le concept de dossier médical se structure, ainsi, peu à peu, d’abord en milieu hospitalier, puis en médecine de ville, avec un cahier d’observation clinique, un

archivage des examens biologiques, ainsi que des radios et autres examens complémentaires, une fiche de surveillance journalière des constantes du patient (tension artérielle, pouls, fréquence cardiaque, fréquence respiratoire, glycémie capillaire…). Au cours des années 1980 le stockage dans une pochette, au sein du dossier, de tous les courriers concernant le patient, échangés entre les professionnels, devient systématique. Cette pochette contient également les comptes-rendus d’hospitalisation et de tout acte technique ou chirurgical réalisé auprès d’un patient. Une nouvelle étape est franchie, en ce début du XXIe siècle, avec le lancement de l’informatisation de tous ces éléments, dans le cadre d’un dossier médical personnel global, appelé DMP. Toute cette évolution est liée à une demande forte de la société et des associations de patients, relayées par une part non négligeable du corps médical, dont les mentalités ont évolué, et désormais conscient de la nécessité, pour le patient, de pouvoir prendre connaissance des éléments concernant sa santé, au nom de la transparence, de la continuité et de l’efficacité des soins. Quatre dates sont à retenir :

  • l’adoption, par l’Association médicale mondiale, à Lisbonne, en 1981, d’une Déclaration des droits du malade, dont un des points souligne la nécessité d’améliorer l’information du patient et l’accès aux données qui le concernent;
  • l’adoption, en 1984, par le Parlement européen – devant l’absence d’une législation spécifique consacrée aux droits du patient – d’une résolution visant à établir une Charte des droits du patient ;
  • la publication, en 1994, par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et le Comité permanent des Ordres et Associations médicales de la Communauté Européenne, de la Déclaration d’Amsterdam, déclaration des droits des patients, fruit de la consultation élargie organisée par l’OMS, dans le cadre de l’Europe, et proposée comme modèle aux différents Etats. L’enquête préalable avait porté sur huit points, chacun faisant l’objet d’un développement : le consentement, l’information, la confidentialité et la protection des données médicales, le secret médical, les catégories spéciales de patients (âgés, mineurs, incapables), la promotion des droits des patients, les procédures de contrôle et de plaintes et l’accès des patients aux données médicales les concernant ;
  • la “Charte du patient hospitalisé” qui en 1995, en France,  reprenait des dispositions conformes à la Déclaration d’Amsterdam, avec, en particulier, la reconnaissance des droits du patient à une communication pleine et entière des données médicales le concernant.

Tout ceci a abouti à l’adoption de la loi du 4 Mars 2002, dite “Loi de Démocratie Sanitaire” instituant, pour tout patient, l’accès libre et entier à son dossier médical ainsi que la maîtrise de son contenu et des conditions d’accès.

Un enjeu de confiance entre les malades et les professionnels de santé

Cette évolution, surtout depuis les années 1980, permet de répondre à la demande des patients en termes de traçabilité de l’information les concernant. Les professionnels disposent ainsi de l’historique médical nécessaire à une prise en charge adaptée du patient, qui, de son côté, est mieux armé pour participer à la décision médicale et répondre à la demande de consentement éclairé. Dorénavant, on peut espérer un malade averti, davantage responsable, prenant mieux en compte les impératifs de sa santé, la prévention des maladies, le suivi de son traitement. Le dossier médical devient, dès lors, l’outil fondamental de communication entre le médecin et son malade. C’est, au premier chef, un enjeu de confiance entre les professionnels et les malades. Mais c’est, aussi, un gage d’une meilleure transmission d’informations entre professionnels de santé, eux-mêmes, et donc, d’amélioration des soins apportés.

Les conditions d’exercice de la médecine ont, en effet, grandement évolué au cours des dernières décennies, du fait des progrès scientifiques et technologiques, mais, aussi, des contraintes socio-économiques. Elles sont, aujourd’hui, largement multidisciplinaires, avec, souvent, l’implication de plusieurs professionnels  : le colloque médecin-malade n’est plus si souvent singulier. De plus, nombre de traitements liés, hier, à l’hospitalisation, sont, désormais, assurés en médecine ambulatoire Cette évolution s’est accompagnée d’un fort développement de réseaux de soins, impliquant la nécessité d’une information partagée entre les professionnels de santé mobilisés autour d’un malade. L’exemple du réseau est fort, mais l’intérêt du dossier médical partagé n’est pas moins évident en cas de remplacement ou de changement du médecin traitant, comme, d’ailleurs, dans les situations de recours aux services d’urgences.

Pour l’ANAES (Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé), le dossier médical doit, d’abord, répondre à des critères de présentation. Il ne peut s’agir que d’un document écrit – informatisé ou non – sécurisé et pérenne, contenant l’ensemble des informations concernant un patient, qu’il

s’agisse des données administratives, médicales ou de toutes autres données nécessaires à sa prise en charge. Il doit ainsi permettre de répertorier toutes les informations utiles et nécessaires pour justifier les choix thérapeutiques, la nature des actes effectués, les conditions et circonstances dans lesquelles les soins ont été dispensés, ainsi que les résultats obtenus. Le contenu, fiable et exhaustif, doit permettre d’en faire un outil d’analyse, de synthèse, de planification, d’organisation, de traçabilité des soins et de l’ensemble des prestations dispensées à un patient. D’autre part, en regard des droits du patient, la loi stipule que doivent être fournis, dès lors qu’il les demande, les informations ayant contribué à l’élaboration et au suivi diagnostique et thérapeutique ou à une action de prévention, les écrits entre professionnels de santé, les résultats d’examens, les comptes-rendus de consultation et d’hospitalisation, les protocoles suivis et les prescriptions thérapeutiques mises en œuvre, ainsi que les feuilles de surveillance. Il faudrait y ajouter, pour être complet, tous les aspects médico-sociaux de la prise en charge par le médecin, telles que les orientations vers les intervenants sociaux et les reconnaissances du statut de handicap ou de maladie chronique ou sévère, dans le cadre des ALD (Affections de longue durée) donnant ouverture de droits spécifiques (100%) par la sécurité sociale. En revanche, la loi n’aborde pas clairement le problème des notes personnelles du médecin, un outil de travail fondamental de la pratique quotidienne, mais susceptible de provoquer des effets pervers, en raison du caractère aléatoire des données forcément évolutives qui peuvent y être consignées. Le même mutisme est observé quant aux notes informelles des assistants dans les services, qui constituent pourtant une base fondamentale du suivi des patients. Et sur ce point, les médecins “seniors” doivent être, d’autant plus, vigilants.

Pour satisfaire de telles exigences le dossier doit être bien structuré (anamnèse complète, données des examens cliniques, biologiques, radiologiques, des examens d’exploration physiopathologiques, des comptes-rendus et des courriers échangés entre professionnels), bien rédigé (avec une notation à chaque intervention médicale), facilement disponible et aisément accessible.

L’accès du patient à son dossier médical parachève le devoir d’information du malade

Le dossier médical n’a, ainsi, cessé, au cours des dernières décennies, de croître en volume et en importance. L’exhaustivité des données recherchée réclame la participation active de l’ensemble des acteurs de santé impliqués. Elle exige du temps, ainsi que des moyens financiers, humains et techniques, qui ne sont pas toujours valorisés dans les structures de soins et dans l’organisation du système de santé français, même si une tendance plus favorable est apparue depuis le début des années 2000.

Face aux nouvelles contraintes que représente, à terme, la tenue de ces dossiers médicaux très élaborés, on voit mal comment échapper à l’informatisation. L’outil informatique, déjà majoritairement présent au sein des cabinets des médecins, des hôpitaux et des réseaux de santé, a largement prouvé les avantages de son utilisation, pour le praticien. Permettant d’emmagasiner une masse de données considérables, il facilite l’archivage, point essentiel de la pratique médicale, tant pour la démarche de soins, que pour la responsabilité éventuelle engagée dans un cadre médico-légal. Des avantages qui ne doivent pas, toutefois, conduire à sous-estimer les contraintes techniques, mais aussi celles de temps de traitement des données et de coût des installations de sécurité et de maintenance.

Quant à l’accessibilité des patients au contenu de leur dossier, il est apparu rapidement qu’elle n’allait pas sans poser de problèmes. Aux Etats-Généraux de la Santé tenus à Nantes d’Octobre 1998 à juin 1999, la volonté du patient d’être davantage acteur de sa santé a été largement exprimée, par les associations de malades représentatives. Le 15 mars 2000, le quotidien Libération, faisait état d’une enquête d’opinion montrant que ” 88 % des Français étaient pour un libre accès au dossier médical”, mais, en même temps, un article intitulé : “ Ces barrages médicaux qui font mal “, énumérait les conflits et parfois les drames que pouvait générer l’inaccessibilité au dossier. Claire Compagnon, directrice du développement à la Ligue nationale contre le cancer, y dénonçait la transmission de dossiers incomplets, les pièces manquantes étant parfois indispensables pour la suite du traitement. Alain-Michel Cerreti, président du Lien (association de lutte contre les infections nosocomiales), s’insurge, quant à lui, contre la lenteur administrative : “le problème c’est le temps – deux à trois mois, en moyenne – et les difficultés rencontrées pour les obtenir. C’est un second traumatisme pour les familles”. Dans le même temps, Etienne Caniard – Secrétaire du Comité national d’orientation des Etats généraux de la santé – lors d’un

colloque sur  « l’accès au dossier médical et les droits de la personne malade », tenu à l’Assemblée nationale, le 15 mars 2000, affirmait : « Il est temps d’apprendre à faire la différence entre l’existence d’un droit et l’effectivité de ce droit ».

Dans ce contexte, la loi du 4 mars 2002 (Loi de Démocratie Sanitaire), relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, a établi le principe que « Toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé, détenues par des professionnels et établissements de santé… » La loi précise qu’une fois la demande formulée, un délai de réflexion de 48 heures doit être respecté pour laisser au patient la possibilité de confirmer ou d’infirmer sa demande. Ensuite la structure ou le médecin sollicité dispose de 6 jours (soit un total de 8 jours après la demande) pour communiquer le dossier. Si les données remontent à plus de 5 ans, ce délai est porté à deux mois. La gratuité de l’accès aux données est un principe inscrit dans la loi, à l’exception des coûts de reproduction et d’envoi.

L’accès du patient à son dossier médical parachève le devoir d’information du malade par son médecin. Tout détenteur du dossier (médecin ou structure habilitée à sa détention) doit, à la demande du patient, ou avec son consentement, transmettre aux professionnels de santé  qui participent à sa prise en charge, ou à ceux qu’il entend consulter, les informations et documents utiles à la continuité des soins. La même loi instaure la possibilité, pour une personne de confiance, désignée par le patient, de l’accompagner dans ses démarches de consultation du dossier médical, comme dans ses démarches de soins. La présence d’une tierce personne lors de la consultation de certaines informations peut, d’ailleurs, en référence à la même loi, « être recommandée par le médecin les ayant établies ou en étant dépositaire, pour des motifs tenant aux risques que leur connaissance, sans accompagnement, ferait courir à la personne concernée. Le refus de cette dernière ne fait pas obstacle à la communication de ces informations. » Ainsi, la juste revendication des patients d’accéder à leur dossier participe d’une double finalité :

  • Avoir accès à ces données qui sont partie prenante de leur vie, afin de mieux participer à leur démarche de soin, faciliter la compréhension de leurs facteurs de risque ou de leur maladie, avoir un double avis médical s’ils le souhaitent et faciliter leurs démarches d’accès aux soins,
  • Faire valoir leurs droits plus facilement en cas de contentieux.

Cogestion  du dossier médical et sauvegarde du secret médical sont-ils compatibles ?

Avec la loi du 13 Août 2004 et l’institution du « médecin traitant », le dossier médical a fait un nouveau pas dans la voie de l’institutionnalisation. Cette loi lui assigne, en effet la mission de “favoriser la coordination, la qualité et la continuité des soins, gage d’un bon niveau de santé… Il comporte des informations qui permettent le suivi des actes et prestations de soins… ainsi qu’un volet spécialement destiné à la prévention”. Le DMP (Dossier Médical Personnel) mis en place par la convention médicale de février 2005, s’inscrit dans la volonté de mieux organiser le parcours de soins des patients (en ville, à l’hôpital et dans les réseaux de santé). Ainsi, les éléments colligés dans le dossier devraient permettre d’attester de la validité de la coordination assurée par le médecin traitant. Mais au-delà de ce grand élan démocratique de ce début du XXIe siècle, il faut souligner, pour être réaliste, la complexité de la mise en place d’un tel système. Tout d’abord des réponses doivent être trouvées, face à des impératifs techniques exigeants (informatisation de tous les lieux de soins, inter-opérabilité des systèmes des professionnels de ville entre eux et de ceux-ci avec les établissements de santé, ainsi que l’inter-opérabilité entre le système général et le patient, dans la mesure où la loi lui donne possibilité d’accès à son dossier). Interviennent, aussi, des contraintes humaines, dans la mesure où l’informatisation et la gestion des données doit être d’un grand niveau de sécurité et médicalisée, alors même que les professionnels de santé sont déjà accaparés par leur activité de praticiens et que l’évolution de la démographie médicale laisse augurer, dans un proche avenir, d’un recrutement aléatoire de professionnels dans de nombreuses disciplines de la santé. Enfin, il ne faudrait surtout pas évacuer des questions d’ordre éthique et juridique essentielles concernant la protection des personnes et des données médicales personnelles, dans l’ensemble de ce dispositif.

La crainte majeure des professionnels et des patients est le risque, à travers l’informatique, de la fuite de l’information et donc de la remise en cause du secret médical. Le cadre de l’hébergement informatique des données médicales est, en fait, fixé par la loi de 1978 sur l’informatisation des données personnelles et celle de 2002 sur les droits des malades. Le CNOM (Conseil National de l’Ordre des Médecins), la CNIL (Commission Nationale Informatique et Libertés) et les ordres des professionnels de santé ont demandé le respect du principe, selon lequel les professionnels de santé et les gestionnaires informatiques sélectionnés bénéficiaient, seuls, d’un agrément, afin de garantir la sécurité de ces données à caractère privé. De plus, outre la capacité technique, la procédure d’agrément implique le respect de certaines règles jugées indispensables : confidentialité, sécurisation des données (codes et cryptage), mise à disposition permanente auprès de ceux qui ont confié des données médicales et obligation de garde trentenaire (pouvant aller jusqu’à 48 années s’il s’agit de soins à un mineur), interdiction d’utilisation à  des fins commerciales, politiques ou autres.

Lors de sa séance du 10 juin 2004, la CNIL a insisté sur la couverture par le secret professionnel des données enregistrées, sous peine de sanctions pénales, sur la stricte sécurisation du réseau Internet utilisé et sur les engagements légaux, médico-légaux et éthiques de l’hébergeur. Ces obligations s’imposent aussi aux établissements de soins, aux réseaux de santé, et aux professionnels de santé libéraux, dès lors qu’ils rentrent dans un système d’informatisation avec partage de données. Une déclaration doit être faite, dès lors que le principe du fichier commun partagé est envisagé. Une affichette dans les salles d’attente ou d’accueil doit indiquer que les informations concernant des données personnelles des patients sont susceptibles d’être enregistrées dans un système informatique et, qu’à ce sujet, ils ont des droits…(art.29 de la loi de 1978). De plus, dans le cadre de la réalisation d’un futur DMP, le patient doit donner un consentement explicite, les personnes habilitées à avoir accès au dossier étant nommément désignées, les oppositions du patient devant alors être prises en compte.

Dans tous les cas, ces documents sont conservés sous la responsabilité médicale. Non pas celle d’un médecin unique (celui qui ouvrirait le dossier partageable du patient, par exemple, tel que le médecin traitant), à qui incomberait la responsabilité de la gestion de tout le dossier, mais celle de tous les professionnels intervenant au dossier. Chaque partenaire aura

sa part de responsabilité, au sens éthique et déontologique comme au sens juridique et, en cas de faute médicale, seule la partie du dossier incriminée pour un professionnel donné serait mise en cause. Tous les professionnels consultés devront donc être vigilants, aussi bien dans leurs comptes-rendus et leurs appréciations que dans la façon d’assurer la protection de l’accès, via leur système de codage et leur carte informatique CPS (Carte de Professionnel de Santé).

Si la gestion du DMP est déléguée, chacun pour la part le concernant, aux personnels de santé, il reste la propriété du patient. Celui-ci en a l’entière disposition et donne l’autorisation d’accès à qui il veut, mais ne peut, ni le vendre, ni en disposer à des fins marchandes (art. L1111-8 du Code de la santé publique) : « Tout acte de cession, à titre onéreux, de données de santé nominatives, y compris avec l’accord de la personne concernée, est interdit sous peine des sanctions  prévues par le code pénal ». En pratique, c’est le patient qui décide – en accord avec le médecin qui lui propose d’entrer dans le système DMP – du type de données qu’il accepte de partager avec d’autres professionnels qui le prennent en charge. Il peut s’opposer à ce que des professionnels accèdent à tout ou partie de son dossier. Il a, bien entendu, droit d’accès et de rectification sur tout le contenu de ce dossier, conformément aux principes du respect de la confidentialité des données privées.

Au-delà du consentement du patient, une règle prévaut, à savoir que le partage des informations, entre professionnels de santé, ne doit se faire que dans le  strict intérêt du patient, et avec son accord, tel que prévu dans le cadre de la loi du 2002, sauf dispositions contraires, prévues par la loi, telles que des situations d’urgences, ou le cas d’hospitalisation sous contrainte pour motifs psychiatriques. Il va donc de soit que le partage d’informations, qu’elles soient informatisées ou non, n’est possible que pour des patients pris en charge en commun par des professionnels. Ce partage d’informations avec un professionnel ne participant pas à la prise en charge constitue une violation déontologique et juridique du secret médical.

Mais, si les médecins doivent remettre toutes les données  (informatisées ou non), du dossier le concernant, à un patient qui en fait la demande, ils peuvent – et doivent – en garder copie dans le cadre de leur responsabilité contractuelle. En effet, un médecin a besoin de ces informations, non seulement pour prendre en charge son patient, mais aussi pour justifier de ses décisions et, s’il est mis en cause, construire l’argumentaire de sa défense et répondre aux éventuelles expertises diligentées par les juges.

On le voit bien, le dossier médical s’adapte aux exigences nouvelles de la médecine en termes de qualité, de sécurité et de continuité des soins, mais aussi en tant que support pour la recherche, l’enseignement et la santé publique. La question, qui demeure non tranchée, est de savoir en quoi l’informatisation du dossier peut-être bénéfique pour le patient, en termes de choix de santé ? Ce n’est pas la multiplicité des échanges informatiques qui rend l’information plus riche et plus pertinente. La qualité des informations échangées dépend de celle des informations produites à la source, c’est-à-dire des données recueillies dans les dossiers médicaux, des modes d’expression et des modalités de saisie. L’informatisation doit  avoir comme priorité l’amélioration de la qualité des dossiers, pour accroître la qualité des soins individuels.  Ceci renvoie donc à la question centrale, à savoir, jusqu’où la société est-elle prête à s’investir pour que les professionnels de santé aient le temps et les moyens de se consacrer à la tenue de dossiers médicaux de qualité. Ce n’est pas la technologie seule qui peut répondre à la nécessité de l’amélioration de l’information des patients. Cela nécessite d’accepter un réinvestissement sur les questions de relation et de temps nécessaire à une prise en charge efficace des personnes malades.

Enfin, il ne faut pas se cacher que l’informatisation du dossier, conjuguée au droit de libre accès du patient à son dossier, externalise le dossier hors de la relation médecin-patient, fragilisant ainsi, potentiellement, le maintien du secret médical. Informer le patient sur ce risque est essentiel, afin qu’il ne soit pas l’instrument involontaire, par négligence ou insuffisance d’information, de la violation de ce secret.

Pr Grégoire Moutel