
Consentement à la recherche
La protection des personnes… par-delà les procédures
“Je me rappelle nos hésitations, nos scrupules, avant la tentative.
Nous n’étions sûrs de rien.
A tout le moins, on pouvait, cependant,
espérer atténuer les cruelles douleurs qui tourmentaient l’enfant.
Nous nous décidons.
Pour la première fois, dans l’histoire des leucémies de l’enfant,
un traitement est tenté”.
Jean Bernard, “C’est de l’homme qu’il s’agit”
l y a recherche lorsque, au-delà de l’acte de soins et de l’intérêt immédiat du patient, la médecine cherche à faire progresser la connaissance scientifique, c’est-à-dire, dégager et formaliser un enseignement de portée générale. Il est alors nécessaire de mettre en œuvre un processus distinct des soins.
Toute recherche “interventionnelle ” – c’est-à-dire, les essais et expérimentations sur l’homme, dès lors qu’ils innovent par les produits ou les techniques employées, ou qu’ils utilisent une nouvelle association de
techniques ou de produits, tels que nouveaux médicaments, nouvelles techniques chirurgicales, nouvelles méthodes de diagnostic invasives ou porteuses d’un risque potentiel, études psychologiques ou comportementales… – implique le recueil du consentement libre et éclairé de toute personne y participant. C’est là une notion éthique incontournable. La raison en est l’autonomie morale et juridique de tout être humain. Ainsi, les patients ne doivent jamais être sollicités en tant que moyens, pour des objectifs qu’ils n’auraient pas avalisés.
Un consensus international
La révélation des crimes contre l’humanité, perpétrés lors de la seconde guerre mondiale, et, en particulier, les “expériences” pratiquées dans les camps de concentration nazis, ont brutalement projeté la notion de consentement sur le devant de la scène : à Nuremberg, en octobre 1946, furent jugés 20 médecins qui s’étaient livrés, de façon préméditée et planifiée, et en l’absence de toute procédure d’information et de consentement, à des “recherches” sur des prisonniers, dont la plupart étaient morts des suites de ces expérimentations. C’est dans le cadre du jugement, rendu les 19 et 20 août 1947, que les questions éthiques furent directement abordées. De la réflexion des juges devait naître le “Code de Nuremberg”, un ensemble de règles définissant les conditions dans lesquelles pourraient être, dorénavant, effectuées des expérimentations médicales sur des sujets humains.
Deux des dix articles de ce Code, le premier et le neuvième, traitent directement du problème du consentement, dont il est dit qu’il est absolument essentiel qu’il soit libre et éclairé. Ce qui signifie que toute personne incluse dans une recherche en santé doit jouir de son entière capacité légale à consentir, et être libre de décider, hors de toute contrainte exercée par la force, la fraude, la supercherie, la duperie, ou tout autre forme de coercition que ce soit. Elle doit, en conséquence, être suffisamment informée sur tous les aspects de l’expérience à laquelle elle se prête, afin de pouvoir mesurer l’ampleur et les éventuelles conséquences de son engagement. Cette information porte sur la nature, la durée et le but de l’expérience, ainsi que sur les méthodes et les moyens employés, les bénéfices médicaux espérés et les risques encourus. L’obligation et la responsabilité d’apprécier les conditions dans lesquelles est recueilli le consentement incombent à ceux qui ont pris l’initiative et la direction de l’expérience, ou qui contribuent à son déroulement. Ils ne peuvent s’en décharger sur quiconque, sans être poursuivis. Toute personne incluse dans l’expérience doit être libre, au cours de son déroulement, de s’en retirer, si elle estime avoir atteint le seuil de résistance, mentale ou physique, au-delà duquel elle ne peut aller.
Le Code de Nuremberg a été confirmé et complété à trois reprises. L’Assemblée Médicale Mondiale a ainsi appelé, à Helsinki, en 1964, et à Tokyo, en 1975, au respect des principes de Nuremberg, lors de recherches biomédicales portant sur l’être humain. La Déclaration de Tokyo (Chap.I, Art. 9) insiste sur l’information des participants à la recherche et sur la nécessité de recueillir leur consentement, libre et éclairé. Elle insiste également sur leur capacité à pouvoir sortir, à tout moment, de l’expérience, dès lors qu’ils en
expriment le souhait. Dans le second chapitre, à propos de la recherche clinique, l’Art. 5 précise que le médecin, s’il estime essentiel de ne pas demander le consentement éclairé de la personne participante, doit en donner les raisons spécifiques dans le protocole expérimental, préalablement transmis à un comité de contrôle indépendant.
En 1981, dans la Déclaration de Manille, portant sur “la recherche impliquant la participation de sujets humains”, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) reprend, en les développant, les normes établies en 1964 et 1975, en soulignant que l’obtention du consentement éclairé doit toujours être complétée par un examen éthique, indépendant des projets de recherche. La validation des procédures d’information et de consentement par un comité, indépendant, d’éthique de la recherche, est, fortement recommandée.
En Europe, les règles de recueil du consentement éclairé ont été précisées dans la Recommandation R.90-3 du Conseil de l’Europe, du 6 février 1990. Il y est précisé que “le consentement libre et éclairé du sujet de l’expérience sera recueilli après l’avoir informé de manière adéquate des objectifs, méthodes et bénéfices escomptés, ainsi que des risques et désagréments potentiels, de son droit de ne pas participer à l’expérimentation et de s’en retirer à tout moment“. La Recommandation précise que ” Aucune recherche médicale ne peut être effectuée sans le consentement éclairé, libre, exprès et spécifique de la personne qui s’y prête”. Nonobstant ces principes, dans une situation d’urgence, lorsqu’un patient est incapable de donner un consentement préalable, une recherche médicale peut être entreprise:
- si la recherche à effectuer, en situation d’urgence, a été planifiée,
- si le plan de la recherche systématisée a été approuvé par un comité d’éthique,
- si, enfin, la recherche est entreprise au bénéfice direct de la santé du patient.
En France, l’obligation du consentement éclairé dans la recherche biomédicale a été intégrée dans la Loi Huriet-Sérusclat, du 20 décembre 1988, relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales. Antérieurement à cette loi, en 1983, un Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) avait été créé, avec pour mission d’émettre des avis sur les problèmes moraux soulevés par la pratique médicale, préalablement à une éventuelle intervention législative. Il avait ainsi émis des recommandations concernant l’éthique de la recherche, en appelant à la nécessité d’une loi.
La loi “Huriet-Sérusclat” a posé la question des liens entre la recherche médicale et la société
Il est courant de distinguer un “avant” et un “après” Nuremberg, comme si ce jugement de l’histoire avait tout clarifié. Toutefois, la notion de consentement éclairé existait dans la jurisprudence française avant la seconde guerre mondiale, et l’Allemagne, en 1931 (sous la République de Weimar), avec émis des directives concernant les thérapeutiques nouvelles et l’expérimentation scientifique sur l’homme. Ce code éthique exigeait, déjà, le consentement éclairé des patients, …et il est resté légalement en “vigueur” jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale.
A une autre échelle, celle de la planète, quelle peut être l’efficacité de Nuremberg, puis d’Helsinki et de Manille ? En 1963, a été révélé le scandale du Jewish Chronic Disease Hospital, de New York, révélant la transplantation, dans le cadre d’une étude sur l’immunité chez des patients atteints de cancer, chez 22 vieillards, à leur insu, de cellules cancéreuses. En 1966, H.K. Beecher, fondateur du Hastings Center Reports, dénonçait, parmi les travaux publiés par la presse médicale anglo-saxonne, une proportion alarmante de protocoles expérimentaux, réalisés à travers le monde, bafouant les principes éthiques. En 1970, éclatait l’affaire de la Tuskegee Syphilis Study, support d’une étude entreprise, en 1932, sur l’évolution de cette maladie dans un groupe de 400 patients noirs d’Alabama. Ceux-ci ne connaissaient ni la nature, ni le nom de leur maladie. Ils ne recevaient aucun traitement, alors même que les antibiotiques avaient été découverts et reconnus efficaces. Cette “expérience” ne prit fin qu’en 1972. En 1999, on apprenait que, en Suède, entre 1941 et 1975, 60 000 personnes, atteintes de handicap, avaient été stérilisées contre leur volonté, dans le cadre d’une procédure s’apparentant à un protocole de recherche, pour des raisons essentiellement eugénistes.
La question du rôle et de la valeur du consentement, dans le domaine de l’expérimentation médicale, déborde donc, largement, le cadre de sa formalisation et de sa signature. La question posée est celle des liens entre la science et la société et du débat qui doit s’instaurer lors de la mise en place de protocoles de recherche. La formation des chercheurs à l’éthique, la transparence des pratiques, l’intégrité des communications scientifiques, la veille éthique, en association avec des représentants de la société civile… autant de réponses à apporter pour combattre les dérives, redresser les erreurs et mettre, par ailleurs, en valeur, les aspects fortement positifs de la recherche biomédicale, essentielle dans une société de progrès.
A tous ces titres, la loi “Huriet-Sérusclat”, de 1988, est une loi fondamentale et constitue un tournant dans l’éthique de la recherche biomédicale en France. Après deux adaptations, en 1994, puis en 2004, les principes généraux concernant le consentement sont demeurés les mêmes. L’objectif de la loi a été d’intégrer les principes élaborés au plan international et de dépénaliser la pratique des essais sur l’homme. Le Code pénal français édictait, en effet, qu’il ne pouvait être porté atteinte à l’intégrité physique
d’une personne, en dehors d’une démarche thérapeutique, éventualité qui ne peut être écartée dans une recherche sans finalité de soins. La loi a donc permis, sous réserve de conditions éthiques de protection des personnes, que l’acte de recherche ne donne pas lieu à procédures pénales. Cette évolution était nécessaire, afin de mettre les textes en accord avec la législation sur le médicament qui précise, par ailleurs, que tout produit, avant d’obtenir l’autorisation de mise sur le marché (AMM), doit avoir fait la preuve, de son efficacité, de son innocuité et de la nature de ses effets secondaires, autant de conditions impossibles à respecter sans essais préalables sur l’homme.
La loi “Huriet-Sérusclat ” a fixé les règles de ces essais. Elle précise que ” Préalablement à la réalisation d’une recherche biomédicale sur une personne, le consentement libre, éclairé et exprès de celle-ci doit être recueilli, après que l’investigateur (défini comme celui qui réalise la recherche avec le patient), ou un médecin le représentant, lui ait fait connaître :
– l’objectif de la recherche, sa méthodologie, sa durée et les bénéfices attendus ;
– les contraintes et les risques prévisibles, y compris en cas d’arrêt de la recherche avant son terme ;
– l’avis d’un Comité de Protection des Personnes (CPP, anciennement CCPPRB), sur les conditions de conduite de cette recherche”.
Le consentement doit être recueilli par écrit. En cas d’inclusion d’un patient dans des recherches biomédicales, dans des situations d’urgence ne permettant pas de recueillir son consentement, le protocole de recherche peut prévoir de ne pas le rechercher, les proches, ou la personne de confiance, étant, par ailleurs, consultés, s’ils sont présents. L’intéressé sera informé, et son consentement recueilli, dès que possible, pour la poursuite éventuelle de sa participation à cette recherche, sachant qu’il dispose, en toute circonstance, du droit de le refuser, sans encourir aucune responsabilité, ni aucun préjudice.
L’introduction de la notion de consentement “écrit”, alors que, par tradition, le “contrat” médical s’inscrivait, essentiellement, dans un processus oral, avait, dans l’esprit de la loi, pour objectif de protéger le patient. Il ne faudrait pas, cependant, méconnaître les limites d’un tel document, riche de trop de non-dits. Une lecture sémiotique en fait un moyen de protection de l’investigateur du projet dès lors qu’il apporte une preuve que, conformément à la loi, celui-ci s’est bien acquitté de ses obligations d’information, envers les participants à cette recherche, sur les objectifs, la méthodologie, la durée, les bénéfices attendus, mais aussi les contraintes et les risques prévisibles (ainsi que leur couverture, par une assurance) et leur a rappelé leur droit de se retirer de l’essai, à tout moment.
Les Comités de Protection des Personnes (CPP)
Pour garantir le respect des règles de mise en place des essais de recherche médicale sur l’homme, la loi “Huriet-Sérusclat” de 1988 a institué des Comités de Protection des Personnes se prêtant à des Recherches Biomédicales (CCPPRB), devenus, plus simplement, avec la réforme de 2004, des Comités de Protection des Personnes (CPP).
Répartis au sein d’inter-régions de recherche clinique, les CPP sont agréés par le Ministère de la Santé pour une durée de 6 ans, et exercent leur mission en toute indépendance, tant vis-à-vis des pouvoirs publics que des promoteurs ou des investigateurs de recherches cliniques. Chaque Comité est composé de 14 membres titulaires et 14 suppléants, (bénévoles, pour la plupart) désignés, pour une période de 3 ans renouvelables, par le Préfet de Région, sur une base multidisciplinaire, après appel à candidature auprès de publics concernés (personnels de santé, travailleurs sociaux, juristes, spécialistes de l’information, représentants des usagers…).
Ces Comités n’ont pas pour mission de se prononcer sur les aspects scientifiques de la recherche, mais d’assurer la protection des patients inclus dans la recherche, notamment par le contrôle et la validation des procédures d’information et de consentement, ainsi que des critères de sécurité et (éventuellement) d’indemnisation.
L’investigateur du projet doit ainsi communiquer aux patients concernés :
– l’objectif de la recherche, sa méthodologie, sa durée et les bénéfices attendus;
– les contraintes et les risques prévisibles, y compris en cas d’arrêt de la recherche avant son terme;
– l’avis du CCP sur les conditions de conduite de cette recherche.
N’ayant qu’un caractère consultatif, les CCPPRB n’émettaient, depuis 1988, que des avis, dont ils n’assuraient pas le suivi au cours de l’essai. Depuis la réforme de 2004, les CPP sont des instances dotées d’une véritable autorité et peuvent même demander à suivre le déroulement de la recherche, une expérience, éthiquement correcte dans sa conception, pouvant ne pas, forcément, l’être dans sa réalisation, des questions imprévues pouvant, par ailleurs, se poser lors du déroulement de la recherche.
Toutefois, réduire à un souci de protection légale, tant de la personne incluse dans une recherche que de l’investigateur et du promoteur de cette recherche, ce consentement “écrit”, serait un véritable déni d’une confiance réelle, aussi indispensable en situation de recherche que dans la relation de soins.
Le formulaire écrit révèle, en effet, ses limites, s’il ne s’inscrit que dans une logique réglementaire, et n’intègre pas un niveau relationnel fondé sur le principe du respect de l’autonomie de la personne humaine, et
reconnaissant, à chacun, le droit au respect de son corps et de ses choix. Le caractère imparfait du formulaire, ou l’usage qui en est fait, ne signifie pas pour autant, que l’on se trouve engagé dans une recherche contestable ou douteuse, et, a contrario, un formulaire parfait ne correspond pas nécessairement à une bonne recherche. Le formulaire n’est, en quelque sorte, qu’un “passeport”. Il ne permet pas de juger au fond, c’est-à-dire, de la qualité même de la recherche, de la manière dont elle se déroulera, et comment elle sera perçue par les acteurs concernés.
La pleine légitimité d’un consentement, qui ne serait que “préalable”, peut être discutée
Pour cette raison, l’information écrite doit donc être complétée par une information orale, individuelle, adaptée à chaque patient. La question se pose également, rappelons-le, de vérifier comment ce consentement s’inscrit dans la relation et dans sa dynamique temporelle. Particulièrement, dans les cas d’essais sans bénéfice pour le patient, ou lorsque ce bénéfice n’apparaît que comme un résultat éloigné de l’essai clinique, il est indispensable que le consentement, obtenu avant même toute mise en œuvre du processus de recherche, ne vienne pas clore le processus d’adhésion d’un patient. Il doit, au contraire, être le point de départ d’une démarche continue de partage des savoirs, des interrogations et incertitudes liées à la recherche, source de questionnement permanent sur la validité du consentement initial, avec remise en question régulière, fût-ce au prix d’une mise en cause de la logique scientifique. Un consentement, du fait des incertitudes intrinsèques qu’il comporte (difficulté de compréhension, fragilité d’un patient, confiance accordée au médecin) et du fait de la nature de la recherche biomédicale (incertitude scientifique, réorientation de la recherche en fonction de résultats préliminaires, obstacles techniques imprévus…), ne peut être qu’un élément de la protection des personnes, sans prétendre, aucunement, constituer une garantie suffisante. Il pourrait, même, n’être qu’un leurre, s’il ne s’accompagnait pas d’une démarche permanente de questionnement, durant le déroulement des recherches, seule capable de garantir, à la protection du patient, la priorité qui lui revient.
Ainsi, peut-on discuter la pleine légitimité d’un consentement qui ne serait que “préalable”, seule exigence affichée par les textes législatifs français,
reflets, en cela, d’un ancien consensus européen et international (pas d’intervention médicale sur un être humain, sans son consentement préalable, après l’avoir informé de façon honnête et complète). La nécessité d’une confirmation du consentement préalable, à certaines étapes du processus de recherche, est aujourd’hui de plus en plus évoquée, à juste titre, par de nombreux travaux de recherche en éthique et les avis du CCNE. Pour respecter le principe selon lequel “toute personne doit pouvoir sortir à tout moment d’un protocole », une information en continu devrait être délivrée.
Dans de nouvelles situations cliniques et de recherche (comme celles liées à l’étude des marqueurs génétiques d’une personne, à partir de son ADN conservé dans les biothèques), ou dans des situations, plus classiques, qui impliquent le patient dans un très long processus (tels, les protocoles de prévention du risque vasculaire ou de pharmaco génomique appliqués au VIH), a été évoquée la possibilité de solliciter une confirmation du consentement, compte tenu, par exemple, de réorientations de la recherche entreprise, ou, également, des choix de vie des patients. Ces propositions plaident, on le voit bien, en faveur d’un consentement évolutif. Elles soulignent à nouveau, également, qu’un consentement n’affranchit pas le médecin ou le chercheur de sa responsabilité, ni ne lui confère un quelconque blanc-seing. L’obtention et le renouvellement éventuel du consentement doivent s’accompagner d’une vigilance éthique plaçant, en permanence, au sein de la relation médecin-patient, la question de l’opportunité de poursuivre un processus de recherche, et du sens à lui donner, en liaison avec la démarche de soin et d’accompagnement.
L’acceptation de l’incertitude, par les patients inclus dans des essais randomisés
Les travaux de D.H. Smith, comme ceux de Levine, soulignent la nécessité d’une relation d’excellence entre le médecin qui propose l’essai et le patient, support vivant de cet essai. Ces auteurs estiment qu’un médecin qui n’aurait eu, par le passé, aucun lien relationnel et thérapeutique avec un patient susceptible de rentrer dans un essai, ne pourrait avoir aucune légitimité à le lui proposer. Levine évoque la possibilité de faire appel au médecin de famille du candidat à l’essai, mieux préparé, sous l’angle relationnel, pour lui expliquer les modalités et la finalité du protocole de recherche proposé. Pour d’autres, c’est au médecin-chercheur, lui-même, qu’il incombe d’établir une relation spécifique avec le patient, et d’être l’interlocuteur unique, celui qui réalisera le traitement, mais, aussi, celui qui saura répondre à ses questions.
Il apparaît nettement qu’une évolution s’est esquissée, au cours des années 1990, en faveur d’une synergie entre démarche de soins et démarche de recherche. On peut prendre pour exemple la randomisation (essais comparés, en aveugle), effectuée entre une technique mutilante et une technique conservatrice, ou entre un traitement palliatif et un autre, potentiellement plus risqué, mais potentiellement curatif. On légitime ce type d’étude, à la condition d’expliquer au patient l’enjeu que représente le choix du traitement, à savoir, un traitement classique, qui relève du soin, et un autre, innovant, à classer dans une démarche de recherche.
Foucault résume ainsi cette interrogation, propre à la médecine clinique confrontée à la recherche : “Le problème moral le plus important que l’idée clinique avait suscité était celui-ci : de quel droit pouvait-on transformer en objet d’observation clinique un malade que la maladie avait contraint à venir demander assistance à l’hôpital ? Il avait requis une aide, dont il était le sujet absolu, dans la mesure où elle avait été conçue pour lui ; et on le requiert, maintenant, pour un regard dont il est l’objet, et l’objet relatif, puisque ce qu’on déchiffre sur lui est destiné à mieux connaître les autres”.
Le soin, objet premier de la relation médecin-patient, pourrait donc, dans un tout autre contexte, céder la place à la démarche scientifique. L’enjeu éthique est alors de ne pas agir dans les situations où ces logiques apparaissent en trop grande tension, et dans les cas où la recherche serait contraire aux intérêts et/ou à la demande du patient. La nécessité d’une information du patient et d’un consentement prend ici tout son sens avec la différenciation de l’intérêt individuel (bénéfice individuel de la recherche), de l’intérêt collectif (retombées pour d’autres patients) et, également, de l’intérêt du chercheur et de la science (amélioration des connaissances, production de savoir scientifique, mais aussi, reconnaissance et prestige des équipes). Dès lors, par son consentement, un patient accepte, non seulement, de participer à l’essai sur soi-même d’un nouveau traitement, mais également de n’en retirer, éventuellement, aucun bénéfice.
Risques et Consentement
Toute recherche, par nature, comporte des risques, y compris graves. La recherche médicale n’y échappe pas, son but n’étant pas que d’étudier les effets bénéfiques d’un traitement, mai aussi, dans ses phases initiales, sa tolérance, sa pharmacocinétique et d’éventuels effets secondaires.
En mars 2006, lors d’un essai médicamenteux randomisé, mené dans un service de recherche clinique d’un hôpital anglais, six des huit volontaires inclus dans l’essai (de phase 1) ont, d’abord, présenté – de façon imprévue – d’intenses douleurs (céphalées et douleurs abdominales), puis ont été pris de vomissements, suivis d’une perte de connaissance, nécessitant, alors, des transferts en réanimation et des soins intensifs. Les deux personnes ayant reçu un placebo étaient indemnes.
La sévérité des données cliniques et leur caractère exceptionnel et spectaculaire a déclenché une vague médiatique, au cours de laquelle les termes de ” patients cobayes” sont ressortis, laissant croire, parfois, que ces essais avaient été réalisés sur des sujets malades et non volontaires. Hors il s’agissait bien de sujets sains, volontaires, et ayant donné leur consentement pour participer à une telle étude.
La molécule testée avait été jugée, en termes de pré-requis scientifiques, suffisamment intéressante pour que soit signé un partenariat industriel de recherche en vue d’étude et de fabrication, pour application à l’homme, dans le cadre de nouveaux traitements d’affections rares. De son côté, l’agence britannique chargée de la recherche sur les médicaments avait autorisé les premiers essais cliniques en phase I, en se fondant sur les mêmes pré-requis.
Cet exemple atteste de la nécessité de rappeler que la prise de risque (si elle est raisonnable, exposée et surveillée) est incontournable. La refuser, ce serait la négation de la recherche clinique et le rejet de tout progrès en médecine. Il atteste, également, de la nécessité de s’assurer de la liberté de choix des participants face à cette prise de risque, et, en toute éventualité, de leur assurer une prise en charge médicale optimale (obligation de moyens et de sécurité dans les essais), ainsi qu’une prise en charge sociale et financière des préjudices subis.
C’est cette évolution que les travaux de B. Hill, en 1948, ont entérinée, avec la mise en place des grands essais sur la streptomycine. Ces essais comparés sont apparus comme un moyen objectif de juger de l’efficacité de nouveaux produits et de nouvelles techniques, de modérer l’enthousiasme que ces découvertes font naître, et de moduler leur prescription à bon escient. La littérature des années 1950 et les travaux de la Federal Drugs Administration (FDA), aux Etats-Unis, soulignent les efforts de persuasion et de réorganisation qu’il a fallu pour convaincre, d’abord, les médecins, puis, les patients, du bien-fondé de ces études randomisées, dans lesquelles les patients acceptent de ne pas savoir s’ils reçoivent, ou non, le nouveau traitement.
Une des questions centrales du débat a porté sur la légitimité du recours à un placebo. Ce débat a perduré, depuis, et il a été montré qu’il ne s’agit là que d’un concept évolutif, en fonction des mentalités et des avancées de la science. Ainsi, ce qui, du point de vue d’un comité de la recherche, était éthique en 1986 – étudier un thrombolytique contre un placebo dans l’infarctus du myocarde – ne l’était plus, en 1987, ce type de traitement ayant alors suffisamment prouvé son efficacité pour réduire la mortalité liée à l’infarctus.
Parallèlement, s’est aussi posée la question de l’information du patient sur l’utilisation de placebos dans les essais. Un des éléments du débat est de justifier, qu’au nom de la démarche scientifique, le patient reste dans l’ignorance de ce qu’il reçoit effectivement comme produit, nécessité liée à la méthodologie scientifique des essais dits “en aveugle”, dans lesquels le patient ne doit pas savoir ce qu’il reçoit, de manière à gommer les effets psychologiques potentiels dans les résultats. Plus avant, dans cette logique,
Brody affirme qu’il faut aller jusqu’à cacher l’annonce de la possibilité d’un placebo, si l’on veut réellement tester l’impact du produit en regard du placebo. Par ailleurs, informer le patient sur l’existence d’un protocole avec placebo a été décrit comme éthiquement problématique, par rapport au bien-être du patient. Ainsi, les travaux de Skovlund montrent que, chez les patients souffrant d’un infarctus du myocarde, le fait de dire à un malade qu’il va peut-être recevoir un placebo ou un produit plus ancien (a priori, moins actif que le produit testé) est susceptible d’aggraver les lésions, en raison du stress éventuel provoqué par cette annonce.
Les revendications, depuis les années 1990, sur l’information légitimement due au patient, et la possibilité d’un accès plus large, du public, au discours médical, plaident de plus en plus pour un partage de l’information et un discours de vérité. De nombreux travaux et des constats cliniques montrent d’ailleurs que l’on peut renseigner le patient sans arrière-pensée sur les protocoles avec placebo, à condition que le temps consacré à décrire l’expérience soit suffisant et que l’accompagnement soit de qualité.
Accepter l’inclusion dans un protocole, c’est donc accepter de reconnaître les limites des connaissances médicales, ce qui participe d’ailleurs, parfois, d’une démarche courageuse, tant de la part du public que de celle des médecins. La cancérologie en est un des témoins emblématiques, passé du stade de l’inefficacité thérapeutique à celui de progrès permanents, grâce à l’omniprésence de la recherche clinique dans la prise en charge des patients. Il n’est, en effet, pas un domaine de la cancérologie qui, aujourd’hui, ne propose aux patients de participer, peu ou prou, à un essai, le soin et la recherche étant en permanence entremêlés.
S’en tenir à la lettre du consentement peut apparaître comme un artifice
Les grands principes historiques qui fondent le consentement sont connus, et pourtant, dans de nombreuses situations, sa validité demeure contestée. Face à un patient inconscient, ou à un très jeune enfant, face à un patient n’ayant plus toutes ses facultés de jugement, mais, malgré tout, susceptible d’être inclus dans un protocole expérimental, et même, plus simplement, face au commun des patients (pour qui les données médicales et scientifiques apparaissent très complexes), se pose la question de la validité du consentement. De nombreux travaux ont permis d’établir ses limites opérationnelles et, dans certaines situations, la garantie toute relative qu’il apporte dans la protection des personnes.
Une enquête américaine a souligné ainsi les difficultés de la communication entre le médecin et le malade : 42% des médecins impliqués dans un essai disent ne pas savoir quel niveau d’information souhaite le malade. Une autre enquête, menée auprès de patients cancéreux, sur l’information retenue par les malades dans des essais de phase III, révèle une mémorisation insuffisante, pour un tiers d’entre eux, et, parfois même, l’incompréhension de l’essai thérapeutique. Dans le même registre, d’autres travaux ont montré que l’information, bien que correctement délivrée par les cliniciens, était, plus ou moins, mal enregistrée par les patients en situation de stress physique, de troubles, comme, par exemple, dans le cadre de l’autoconservation de sperme, avant chimiothérapie ou radiothérapie potentiellement stérilisantes. Une enquête réalisée à Orléans, en 1994, dans le cadre d’une étude sur les infarctus du myocarde, soulignait que 21% des patients signaient le formulaire de consentement pour faire accélérer les soins, et 24,2% le faisaient en pensant ne pas avoir le choix! Néanmoins, tous
ces travaux montrent, cependant, un intérêt des malades pour une participation à la décision, et l’instauration d’un dialogue apparaît utile et importante à une majorité d’entre eux.
La question du consentement lorsque la personne n’a plus toute sa conscience demeure également très présente. Cette question se pose couramment en médecine d’urgence, mais revient, aussi, régulièrement, dans le discours des psychiatres, confrontés aux critères de validité appliqués au consentement : si ces normes étaient strictement respectées, le consentement ne serait plus valable pour un dépressif sur quatre, trois schizophrènes sur quatre et pour tous les patients présentant un retard mental, même léger. Ce même questionnement se retrouve en gériatrie, pour des personnes victimes d’accidents vasculaires cérébraux, dans le cadre de protocoles de recherche sur une population vieillissante, notamment dans le cadre de la maladie d’Alzheimer. Autant de situations cliniques qui aboutissent à des impasses opérationnelles, lorsque le médecin recherche un consentement qui puisse s’inscrire dans le double respect de l’autonomie et de la dignité de la personne. Faut-il alors solliciter celui de la famille, comme le propose le Conseil Consultatif National d’Éthique? Les travaux de Warren ont montré que, dans 31 % des cas, les proches d’un patient pouvaient donner leur accord à son inclusion dans un protocole de recherche, tout en estimant que leur avis pouvait ne pas refléter celui du patient !
S’en tenir à la lettre du consentement, sans avoir conscience de ces limites, peut donc apparaître comme un artifice, ne correspondant pas à la réalité de la situation médicale, au sein de laquelle se tissent les liens complexes de la relation médecin-patient.
Pr Grégoire Moutel