Ethique et génomique
Les nouveaux défis dans le domaine de la recherche et de l’information
Introduction
La génomique est une biotechnologie qui a pour objet l’étude des génomes, c’est-à-dire l’ensemble des gènes portés par un être vivant (www.wikipedia.org). Les recherches dans ce domaine peuvent aujourd’hui s’effectuer à partir de plusieurs perspectives, c’est-à-dire se concentrer sur le séquençage d’un génome complet, un chromosome ou un gène spécifique, voire s’intéresser à la fonction d’un gène ou l’interaction de plusieurs d’entre eux. Pour autant, définir précisément la génomique est une entreprise difficile en raison de la mouvance de ses frontières qui sont « constamment déplacées et redéfinies au gré des spécialisations, des objets d’étude, des innovations techniques, des « détournements » d’outils, des découvertes scientifiques, des programmes et des politiques de recherche… » [1]. Depuis la découverte et surtout le développement de cette biotechnologie que l’on situe au début des années 80, il semble que l’activité de séquençage ait monopolisé l’attention quasi-exclusive des biologistes en raison des résultats biomédicaux escomptés, à
savoir induire « une capacité accrue à identifier les gènes liés à des pathologies, qui aura un impact direct sur le diagnostic, le traitement et la prévention des maladies génétiques. » [1].
L’attrait pour le séquençage a d’ailleurs été tel que, même si le lancement controversé du Human Genome Project a pris plusieurs années de retard pour des raisons notamment financières, il a ensuite donné lieu, dès la fin des années 90, à une véritable « course au génome » consécutive à l’arrivée de concurrents issus de firmes privées. L’immixtion du secteur privé dans le domaine des biotechnologies a dès lors entraîné un certain nombre de répercussions, notamment liées à leur spécialisation dans le domaine de la génomique personnelle, que l’on peut qualifier de défis d’ordre éthique. Ces derniers se retrouvent essentiellement dans deux champs bien spécifiques : la recherche mais aussi l’information, domaines connexes que ce dossier se propose de traiter.
Naissance et développement de la génomique
La génomique est une activité née de l’amélioration des connaissances dans le domaine de la génétique, discipline qui émerge au début du 20ème siècle avec la redécouverte des travaux de Gregor Mendel sur l’hérédité. Il faudra néanmoins une vingtaine d’années aux généticiens pour qu’ils associent cette dernière avec les chromosomes, corrélation qui leur permet alors de « déceler les régularités héréditaires qui se transmettent de génération en génération, comme le type sanguin, ou les maladies liées au chromosome X, comme l’hémophilie, qui se transmet des mères aux fils» [1]. Les vingt années suivantes (de 1920 aux années 40), ont ensuite favorisé la découverte des éléments constitutifs de l’acide désoxyribonucléique (ADN) (Découverte des éléments constitutifs de l’ADN par Phoebus Levene en 1929) puis de la biologie moléculaire dont le terme apparaît en 1938. Ces études, qui ont servi de postulat aux travaux de James Watson et Francis Crick, ont permis de caractériser en 1953 la conformation en double hélice de la molécule d’ADN, invention ouvrant progressivement la voie à la « révolution génomique » et pour laquelle ils recevront le prix Nobel de médecine en 1962. En 1973 sont mises au point des techniques de clonage de l’ADN, procédé qui permet d’isoler les gènes, « de les purifier et de les multiplier en quantité suffisante de façon à pouvoir les étudier en détail» [2] C’est ensuite en 1997 que sont développées indépendamment deux méthodes de séquençage de l’ADN : celle de Maxam et Gilbert aux Etats-Unis et celle de Sanger en Grande-Bretagne.
Les progrès constants réalisés dans le domaine de la génétique ont ensuite rapidement conduit les chercheurs du monde entier à mener conjointement un projet ambitieux : séquencer l’intégralité du génome humain. Ce projet, connu sous la dénomination Human Genome Project, est né au début des années 80 et s’est achevé en avril 2003 avec deux ans d’avance. Une version complète et précise à 99,99% de la séquence du génome humain est aujourd’hui librement accessible en ligne, à la disposition de tous les chercheurs. Le travail d’identification des gènes se poursuit donc, mais la plupart sont déjà repérés le long de cette séquence et caractérisés. Pour l’heure, ces recherches ont déjà permis aux scientifiques de mettre en relief certains désordres génétiques associés aux maladies rares mais aussi de découvrir les mutations associées à des maladies plus communes, comme des formes héréditaires de cancer, ou la maladie d’Alzheimer [1, 3- 4]. Ces progrès poussent aujourd’hui les chercheurs à élucider la base génétique de maladies telles que la dégénérescence maculaire, le diabète, l’obésité, l’hypertension, les maladies coronariennes, les maladies inflammatoires de l’intestin ou d’autres encore [5]. L’amélioration des connaissances dans les domaines cités devrait conduire à terme à proposer de nouveaux traitements ainsi qu’à des mesures de prévention plus efficaces mais pose également de nombreuses questions éthiques car des mesures de traitement ou de prévention efficaces n’existent pas toujours. Elles peuvent aussi être mutilantes comme c’est le cas de l’ablation du sein alors que l’on est face à des facteurs de risque accru et non des certitudes.
Problématique : une biotechnologie largement expérimentale qui propose déjà des services privés de séquençage du génome
Les avancées réalisées dans le domaine de la génomique permettent déjà dans certains cas de confirmer certains diagnostics. Si les espoirs des biologistes se confirment, elle devrait à l’avenir améliorer et affiner la prise en charge des patients, identifier les personnes à risques accrus, diminuer les effets négatifs de certains traitements ou encore déterminer davantage d’applications dans les domaines de la médecine, des industries pharmaceutique, biotechnologique, agro-alimentaire, ainsi que dans d’autres domaines en prise directe avec les processus biologiques (Cf. CNS, Centre National du Séquençage du Génopole). Pour l’heure, cette biotechnologie
demeure encore largement expérimentale, et ce malgré les larges promesses qu’elle laisse déjà entrevoir. Les nombreuses incertitudes et zones d’ombre qui restent encore en suspend demandent donc à être explorées par les chercheurs. Pourtant, entrevoyant les perspectives de ce marché en pleine expansion, de plus en plus d’entreprises privées de biotechnologie proposent déjà aux consommateurs des services de «génomique personnelle» en ligne. Avec ces nouvelles prestations, décrypter son génome devient une pratique particulièrement simple : il suffit d’avoir accès à Internet et de disposer d’une somme d’agent confortable pour assumer le coût des tests. La suite constitue en revanche un exercice beaucoup plus complexe qui mêle de nombreux défis d’ordre éthique.
L’essor des analyses de génomique personnelle sur Internet
La génomique est une biotechnologie récente, en développement et de fait très peu accessible dans le cadre du soin stricto sensu. Nonobstant son caractère encore largement expérimental, plusieurs firmes privées, comme la start-up américaine 23andMe (www.23andme.com)financée par Google et Genetech, l’entreprise de même nationalité Navigenics (www.navigenics.com), ou encore l’islandaise deCODE Genetics (www.decodeme.com)ont profité de la baisse considérable du prix des analyses pour proposer des services de « génomique personnelle » sur Internet. Moyennant une somme avoisinant les 1000 Euros [8], ces entreprises vendent depuis peu des tests sur un ensemble de gènes qui permettent à leurs clients d’avoir des indications sur les maladies dont ils sont potentiellement porteurs, de connaître leurs origines ethniques ou des choses encore plus futiles comme « des explications sur les petites manies qui agacent leur entourage » [9].
Certaines autres se sont spécialisées dans le domaine de la nutrigénomique (Science qui étudie les interactions entre les gènes et les nutriments fournis par l’alimentation ainsi que l’étude de l’effet de ces interactions sur la santé), comme l’explique la nutritionniste canadienne Julie Robitaille : « Ces entreprises, usant du vaste réseau Internet, offrent un accès direct en ligne aux consommateurs des services de dépistage génétique destinés à promouvoir l’adoption d’une alimentation adaptée à leur patrimoine génétique » [10-11]. D’autres enfin proposent des « tests de généalogie génétique ». Loin d’être marginalisés, ces offres semblent au contraire rencontrer une forte demande de la part du privé. Selon la revue Science, 460.000 personnes y auraient en effet déjà eu recours pour connaître leurs origines ou compléter leur arbre généalogique [9].
L’absence de validation scientifique des analyses de génomique personnelle
Le 10 février 2008, la société deCODE Genetics a annoncé la commercialisation à l’échelle internationale du premier test de dépistage de prédisposition au cancer de la prostate suite aux études scientifiques montrant l’implication de plusieurs régions chromosomiques. Délivré par Internet, uniquement à des médecins, ce test est accessible moyennant la somme de 500 dollars (341 Euros). Comme on pouvait s’y attendre, cette annonce a immédiatement provoqué une controverse à la fois scientifique et éthique au motif que cette initiative ne viserait qu’à occuper au plus vite et de manière « sauvage » un nouveau créneau du diagnostic génétique alors que le test proposé ne permet pas de fournir un résultat exhaustif et précis quant à l’augmentation du risque du cancer prostatique [12]. La conclusion des détracteurs de l’entreprise islandaise est également celle à laquelle est parvenu le comité d’éthique de l’Inserm après avoir été interrogé en 2006 sur la commercialisation d’un test génétique du diagnostic précoce de l’autisme. Selon cet organisme, « le nombre même des différents gènes qui ont été décrits comme pouvant être en cause (près d’une vingtaine actuellement) et le manque de reproductibilité, à ce jour, de la plupart de ces résultats témoignent pour l’instant de leur caractère extrêmement préliminaire, comme pour la plupart des études génétiques concernant les maladies complexes. Le lien éventuel entre des facteurs de risque génétique et la probabilité de développer certains troubles envahissants du développement, le nombre de gènes éventuellement impliqués, et le rôle éventuel de facteurs de l’environnement sont pour le moment inconnus. Dans l’état actuel des connaissances, quelles peuvent être la signification et les implications d’une annonce selon laquelle l’analyse des variations de 4 gènes suffirait, à elle seule, à poser le diagnostic d’« autisme » ? » [13]. Dans le domaine de la nutrigénomique, les constats
sont identiques : Reprenant son exemple, J. Robitaille déplore que, malgré le potentiel énorme de cette science en terme de prévention, ces tests n’en soient pour l’heure qu’à « un stade de développement embryonnaire et que l’information qui en découle n’est pas validée scientifiquement » [10]. Et il en serait de même en matière de « généalogie génétique » : désireux de tenter l’expérience, l’essayiste américain Edward Ball a envoyé des échantillons de cheveux de plusieurs membres de sa famille à quelques entreprises pour en faire analyser l’ADN. Au vu des résultats, totalement différents d’une société à l’autre, il a déclaré : « Cela a bouleversé mon sens de la famille et de l’identité. Toutes ces conclusions ambiguës et contradictoires, c’était très déstabilisant» [9]. S’appuyant sur ce type de témoignages, Henry Louis Gates Jr., Professeur à l’université de Harvard, appartient désormais aux détracteurs de cette « science ». Profitant d’une tribune publiée dans la revue éponyme le 19 octobre 2007, il a, avec plusieurs autres scientifiques et universitaires, souligné que ces entreprises de généalogies n’expliquaient pas toujours très bien les limites du procédé, ni la signification réelle des résultats et qu’en raison du nombre limité d’échantillons recueillis dans les banques de données utilisées pour comparer les résultats ADN, le risque de tirer des conclusions erronés est loin d’être négligeable [9]. Si tous ces arguments sont évidemment pertinents pour expliquer l’absence de fiabilité de la plupart des analyses, le fait que ces entreprises n’effectuent pas le séquençage de la totalité du génome humain –constitué de 3 milliards de paires de bases d’ADN-, mais se concentrent sur un nombre limité de point connus pouvant varier d’un individu à l’autre, y participe également grandement [9]. A titre d’illustration, les tests proposés par 23andMe portent sur 600.000 de ces points appelés SNP (Single Nucleotide Polymorphism) et ceux proposés par deCODE Genetics et Navigenics sur un million.
Le point de vue de l’éthique
Le Comité d’éthique de l’Inserm estime qu’il n’existe actuellement, pour les tests génétiques, aucune procédure d’autorisation de mise sur le marché « évaluant et validant ces tests quant à leur fiabilité technique et à leur utilité clinique, ou décidant si leur réalisation doit dépendre d’une prescription médicale, ou s’ils peuvent être vendus en libre accès, et ce malgré de nombreuse demandes, dont la recommandation formulée il y a plus de dix ans par le CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique) dans son avis n°46 du 30 octobre 1995, génétique et médecine : de la prédiction à la prévention [14]. Il est donc essentiel de réfléchir à la mise en place, au niveau de notre pays, et aux niveaux européens et international, d’instances chargées de l’évaluation de la fiabilité, de l’utilité, et des modalités de réalisation des tests génétiques (avec ou sans prescription médicale) qui sont, ou vont bientôt être mis sur le marché en dehors de toute régulation spécifique. » Cet avis, généralisable aux tests pratiqués dans le cadre plus vaste de la génomique, va dans le sens du Pr. Dominique Maraninchi, directeur général de l’Institut national du cancer, qui a récemment déclaré : « Il est insensé que ces techniques de recherche soient offertes via Internet pour des tests individuels de prédisposition. En l’état, ces tests ne sont pas pertinents pour une information individuelle. S’ils devaient l’être, ce ne serait qu’après un agrément fourni par les agences régulatrices des Etats-Unis, de l’Union européenne et de la France. L’accélération des connaissances ne doit pas engendrer l’accélération de l’offre de services “virtuels” dont le mauvais usage risquerait de déboucher sur des informations fausses, inadaptées et dangereuses » [12].
Si l’on se place d’un strict point de vue éthique, rien ne s’oppose à ce que des entreprises privées se positionnent sur le marché de la génomique pour offrir leurs services ; mais le fait, en revanche, que ces tests n’en soient, pour l’heure, qu’à un stade de développement embryonnaire pose certaines
questions majeures. La validation des résultats biologiques constitue en effet une règle scientifique indérogeable qui ne souffre d’aucune exception. Le laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale de l’université Paris Descartes estime à ce titre que « permettre à des individus d’accéder à des résultats intimes qui n’ont pas été validés, et qui peuvent donc être faux ou partiellement faux, les exposent à des risques non mesurés mais non négligeables (angoisse, incompréhension, mauvaise compréhension, etc.) », d’où la nécessité de les confirmer impérativement avant toute communication [15]. A défaut, il est impérieux de mentionner clairement et lisiblement que les résultats rendus ne constituent que des estimations et en aucun cas des correspondances avérées [9]. Les techniques utilisées par la plupart des firmes privées reposent cependant sur des techniques de publicité qui font au contraire appel à l’émotivité et à la vulnérabilité des consommateurs plutôt qu’à leur rationalité [16]. Ils sont donc plus facilement tentés de consommer ces tests pour « savoir » ce qu’ils risquent, persuadés que la « vérité » réside dans les résultats. Comment dès lors résister à l’appel de 23andMe qui annonce en Une de son site Internet « 2007 : 23andMe introduces the first Personnal Genome Service. Unlock the secrets of your own DNA. Today (« 2007 : 23andMe introduit le premier service personnel de génomique. Déverrouillez les secrets de votre ADN. Aujourd’hui. ») », au slogan de Navigenics « My Genes, My Health, My Life, My Guide (« Mes gènes, Ma santé, Ma Vie, Mon Guide. »)» ou encore à la tentation de consommer le test de deCODES Genetics lorsque l’on se sent potentiellement concerné par le cancer de la prostate ? « Cette politique d’annonce précipitée donne le sentiment d’une démarche d’information qui favorise d’éventuelles retombées commerciales et financières plutôt qu’une information scientifique rigoureuse et une information médicale soucieuse de l’intérêt des malades et de la souffrance des familles » aurait pu répondre, à cette occasion, le comité d’éthique de l’Inserm [13].
Une information standardisée
L’absence de consentement éclairé
Les entreprises privées proposent désormais leurs services de génomique personnelle sur Internet. L’information qu’elles délivrent est donc nécessairement écrite. Aussi, pour pallier l’absence d’information orale, essaient-elles de compenser avec des animations ludiques ou interactives qui permettent, dans une certaine mesure, la participation des internautes. Néanmoins, peut-on affirmer que le recours à de tels moyens équivalent à l’information traditionnellement délivrée dans le cadre médico-sanitaire ?
En matière de tests génétiques, la loi française est d’application stricte. Le second alinéa de l’article 16-10 du code civil énonce à ce propos que : « Le consentement exprès de la personne doit être recueilli par écrit préalablement à la réalisation de l’examen, après qu’elle ait été dûment informée de sa nature et de sa finalité. Le consentement mentionne la finalité de l’examen. Il est révocable sans forme et à tout moment.» Cette phrase signifie concrètement que toute personne qui recourt à un test génétique doit en amont recevoir une information « éclairée » énoncée par l’alinéa 1er de l’article 35 du code de déontologie médicale : « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille sur leur compréhension » [17]. Or, le seul moyen de répondre à ces obligations consiste à délivrer une information à la fois orale et écrite. A défaut, l’individu ne recevra qu’une information standardisée, c’est-à-dire valable pour tous, alors que les personnes recourant à ce type de tests forment une catégorie hétérogène, avec des attentes et des besoins différenciés [15].
La particularité de la génomique
L’exigence d’une information éclairée doit en outre être renforcée dans le domaine de la génomique pour deux raisons essentielles : la nature à la fois intime et confidentielle des données qui pourraient se révéler stigmatisantes si elles étaient diffusées, et ce malgré les lois censées protéger les citoyens [6, 18], et la complexité de cette discipline. Plus que pour n’importe quelle autre spécialité encore, la génomique utilise en effet un jargon auquel peu de praticiens sont rompus. Vulgariser sans déformer ni simplifier à l’extrême cette biotechnologie relève donc d’un donc d’un véritable challenge.
Or, c’est justement là que le bas blesse avec les sociétés privées de génomique personnelle : proposant des services en ligne, ces dernières ne sont pas en mesure de compléter les informations écrites d’une information orale délivrée par un professionnel. Cela ne les empêche pas pour autant de recourir à des formulaires de consentement en ligne que leurs clients doivent signer avant de se lancer dans « l’aventure ». Cette démarche leur permet ainsi de se couvrir en cas de litige mais en aucun cas de garantir le consentement éclairé des personnes recourant à leurs services. Erigé en véritable acteur, c’est désormais au consommateur de s’informer, au risque pour lui de ne pas mesurer l’impact de sa démarche.
L’impact de la démarche
Le fait que l’information délivrée par les entreprises privées de biotechnologies soit standardisée ne permet pas de s’assurer que la personne qui l’a reçue a véritablement pris conscience de l’impact de sa démarche. En effet, contrairement à ce qui se passe dans le cadre du colloque singulier, le recours à Internet n’offre pas la possibilité de procéder en amont à des entretiens visant à aider le patient à déterminer s’il a vraiment envie de connaître ses risques et dans quelle mesure son comportement changerait s’il les connaissait [9]. Cet outil est, au contraire, utilisé par les firmes privées comme un moyen de faire de la publicité pour leurs services [16] et au final d’inciter les internautes à commander, sans réfléchir au sens de leur démarche, un kit de prélèvement. Aussi, pour tenter de pallier -en partie- la possible absence de réflexion de leurs clients, l’Américaine 23andMe a décidé de ne pas chercher le gène de la maladie de Huntington ni ceux indiquant une forte probabilité de cancer du sein [9]. Les parents doivent par ailleurs donner leur autorisation pour les tests sur mineurs.
L’Islandaise Navigenics prévoit quant à elle de se concentrer sur 20 maladies que ses clients seront en mesure de prévenir ou retarder une fois qu’ils connaîtront leur vulnérabilité. Ces exemples montrent cependant combien la responsabilité de ses sociétés est grande d’un point de vue éthique.
Des résultats qui portent à discussion
L’interprétation aléatoire des résultats
Une fois les tests effectués par ces sociétés, les résultats sont directement accessibles depuis un espace personnel sur leur site Internet. La personne qui a envoyé son échantillon de salive quelques semaines plus tôt, peut dès lors accéder à son génome en un simple clic, au risque de découvrir qu’elle possède un ou plusieurs gènes mutés l’exposant à une ou plusieurs maladies dont la gravité peut varier. Le fait de se retrouver seul, au moment de la lecture des résultats, peut donc entraîner des réactions totalement différentes d’un individu à l’autre. Journaliste pour le New York Times, Amy Harmon relate l’expérience qu’elle a vécue (Tribune reprise par le numéro 892 de l’hebdomadaire Courrier International cité en référence 6.) : « Ayant eu la possibilité d’être parmi les premières personnes à tester l’un des services d’ADN en ligne, j’ai accepté mais non sans hésitation. (…). Mais trois semaines plus tard, j’étais devenue accro à une communication quotidienne avec mes gènes. (…). Parfois, en explorant mon génome, j’éprouvais le même choc que lorsqu’on aperçoit fortuitement son reflet dans un miroir. (…) Comme beaucoup d’autres qui ont testé les services de 23and Me, mon premier reflexe a été de rechercher les parties du code génétique associées aux maladies qui m’effraient le plus. (…). Mon risque de développer un cancer du sein
n’était pas plus élevé que la moyenne, pas plus que celui de développer la maladie d’Alzheimer. (…) j’ai bientôt découvert que je pourrais très bien être malvoyante durant ces années supplémentaires. (…) j’avais cent fois plus de risques d’être atteinte de la maladie qu’une personne ayant la combinaison A-C-G-T la plus favorable. (…) » [9]. Dans son papier, Amy Harmon fait ressortir à plusieurs reprises le mot « risque » : risque de développer un cancer du sein, risque d’être atteinte de telle maladie,… Comment dès lors un profane peut-il comprendre les subtilités de ce langage et faire la différence entre une « simple » susceptibilité génétique (La susceptibilité génétique définit le fait qu’un individu ait un patrimoine génétique le rendant sensible ou résistant à une maladie. Il existe également des prédispositions liées à l’environnement et au mode de vie. (Source Orphanet).) et le fait de posséder un gène dont la seule présence suffise à développer concrètement une maladie (Comme dans le cas d’une maladie autosomique dominante.) ? Comment interpréter des informations aussi vagues, sans aucun accompagnement médical ? Interrogée sur cette question, Bernadine Healy, ancienne directrice du NIH, considère avec fermeté qu’il ne faut en aucun cas commander « un test si vous manquez des connaissances permettant d’interpréter son résultat. ».
Un panel de réactions possibles
Illustrant le désarroi de certains malades qui se savent porteurs de gènes mutés, la presse s’est récemment fait l’écho des choix draconiens que ces derniers peuvent être amenés à prendre pour éviter tout risque de confrontation future avec la pathologie qui les concerne de près ou de loin. Le journal américain New York Times a ainsi publié en septembre 2007 [19] un article relatant l’histoire d’une jeune américaine de 33 ans ayant finalement décidé de subir une double mastectomie préventive -alors même que les résultats de sa dernière mammographie ne révélaient rien de suspect- suite à un test ADN qui lui a appris qu’elle possédait la même copie défectueuse du gène BRCA1 que sa mère. Le mois suivant, ce fut au tour d’un autre journal, The Independent, de diffuser une affaire similaire [20]. L’épisode expliquait cette fois qu’une
britannique de 27 ans avait opté pour l’ablation de son estomac après avoir découvert qu’elle portait une mutation du gène de la E-cadhérine responsable d’un cancer gastrique héréditaire. Revenant sur ce qu’elle appelle « La Fiève ADN : Tout sauf risquer un cancer » [9], la journaliste Anh Hoa Truong, explique que ce phénomène est loin d’être isolé : « un tiers des américaines qui apprennent qu’elles sont porteuses du gène BRCA1 optent pour cette solution radicale. Leur nombre a d’ailleurs augmenté de 100 % entre 1995 et 2003. Les autres suivent un traitement médicamenteux ou misent sur une surveillance régulière, et une majorité d’entre elles demandent aussi une ablation des ovaires, ce qui réduit leur risque de cancer du sein de moitié et diminue celui d’un cancer ovarien. » La gravité de ces témoignages risque d’aller crescendo avec le recours à des tests pratiqués depuis Internet, sans accompagnement médical permettant une interprétation juste des résultats obtenus.
L’enjeu de l’accompagnement médical
L’intérêt d’un outil comme Internet réside dans sa facilité et sa rapidité. Une fois munie de son identifiant et de son mot de passe, la personne recourant à un service de génomique personnelle accède directement à ses données. Or, comme le mentionne le comité d’éthique de l’Inserm dans l’avis précité [13] : « Le premier problème éthique concerne la protection de la personne, et est lié à l’absence d’accompagnement médical – à l’absence de consultation médicale de « conseil génétique » – surtout quand le test concerne une maladie complexe grave, et ne donne de résultats qu’en termes de probabilités. La personne est ainsi exposée aux risques psychologiques liés à une absence d’information et de réflexion – de « consentement informé » – concernant les conséquences des résultats ; et aux risques de mauvaise interprétation de ces résultats, liés en particulier au fait qu’ils ne traduiront probablement, dans la quasi totalité des cas, qu’une probabilité, et pas une réponse concernant directement la personne. » Effectués en-dehors du cadre médical, les tests effectués par ce type d’entreprises privent ainsi le « patient » de l’expertise
du médecin, alors que, comme le rappelle le Professeur Josué Feingold, ancien directeur de recherche à l’unité 393 Inserm de l’Hôpital Necker Enfants Malades et expert de la maladie de Hungtington : ce dernier « doit écouter et répondre aux attentes et aux interrogations de son patient. Il doit même quelque fois les anticiper en expliquant les conséquences psychologiques des tests auxquelles le patient n’aurait pas pensé. La relation médecin patient est donc essentielle : le médecin et le patient doivent témoigner d’une confiance mutuelle. Ce climat doit être instauré à travers l’attitude générale du médecin, ses paroles et son écoute » [21]. Quelques sociétés privées, dont Navigenics, prévoient donc de proposer à leurs clients une consultation génétique ainsi que des contacts avec des médecins après réception des résultats. Nonobstant l’intérêt de ces nouveaux services, les personnes recourant à de tels tests, se retrouveront néanmoins toujours seuls devant leur écran d’ordinateur au moment où leurs résultats s’afficheront, à charge pour eux de les déchiffrer, et de réagir en fonction de leur personnalité et de leur vécu.
L’absence de traitements
Les progrès réalisés par la génomique permettent désormais de dépister les prédispositions à certaines maladies génétiques graves, voire de poser un diagnostic définitif. Nonobstant leur intérêt incontestable, ces avancées posent néanmoins question en matière de prévention puisqu’elles concernent, dans la plupart des cas, des pathologies pour lesquelles il n’existe, à ce jour, aucun traitement. Comme le fait à ce titre remarquer Marc Delpech, chef du service de Biochimie et génétique moléculaire de l’hôpital Cochin et directeur de l’équipe Génétique et physiopathologie des maladies inflammatoires héréditaires:
«Malheureusement, si la découverte d’un gène responsable d’une maladie héréditaire permet de proposer immédiatement un diagnostic moléculaire, dans l’immense majorité des cas ce progrès ne conduit pas au développement d’une thérapeutique. La seule approche pour définitivement guérir une maladie héréditaire est la thérapie génique. Toutes les tentatives ont été des échecs. On sait maintenant qu’il faudra de nombreuses années avant que la thérapie génique devienne une réalité » [22]. D’un strict point de vue éthique, la question est donc la suivante : Quel est aujourd’hui l’intérêt pour un professionnel de santé d’informer son patient qu’il possède un ou plusieurs gènes mutés le prédisposant à une maladie grave, voire létale, s’il n’est pas en mesure de lui apporter un traitement adéquat ?
La protection du secret médical
Le secret médical constitue la pierre angulaire du droit médical. Énoncé dans l’article 4 du code de déontologie médical, il « s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris. Le secret médical s’étend au-delà de la mort du patient. » [17]. Le fait pour un médecin de passer outre cette obligation constitue une infraction pénale (Article 226-13 du code pénal.) sévèrement sanctionnée (un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende). Dans le domaine de la génétique, le secret médical présente en outre un intérêt supplémentaire : celui de garantir que la personne qui se prête à un test, et à qui les résultats seront communiqués par le médecin, est bien celle à qui il a été prescrit.
Avec l’essor des services proposés par les entreprises de génomique personnelle sur Internet, le matériel biologique nécessaire à la réalisation des tests afférents devient très facile d’accès : un peu de salive, un cheveu ou quelques cellules prélevées sur une brosse à dents suffisent. Or, comme le fait le comité d’éthique de l’Inserm dans son avis précité [13], à partir du moment où l’accès au test est libre, la prescription médicale, qui n’est autre qu’un contrôle exercé par la médecine sur le caractère bénéfique et non inutilement dangereux d’un examen ou d’un traitement, disparaît. La tentation peut alors être grande de prélever un peu de matériel biologique d’une personne et de réaliser à son insu certains de ces tests ou encore de la soumettre à une pression qui l’oblige à soumettre à certains examens dont la prescription médicale n’est plus requise. «La loi interdit de réaliser un test génétique sans le consentement de la personne, ou des parents s’il s’agit d’un enfant mineur, et protège bien entendu la confidentialité des résultats. Mais la facilité, qui risque de devenir de plus en plus grande, de réaliser une analyse génétique d’un enfant ou d’un adulte à son insu devrait probablement conduire à engager une réflexion nouvelle sur les modalités de protection des personnes qui permettraient au mieux de protéger la confidentialité de ces données ; et d’autre part sur l’intérêt d’un maintien d’une obligation de conseil génétique et d’une prescription médicale (c’est-à-dire d’interdire le libre accès) pour la pratique de tests génétiques concernant les maladies graves et les maladies complexes » considère le comité. Comment s’assurer dès lors qu’à plus ou moins court terme, certaines compagnies d’assurance, devant la facilité du recours à l’outil Internet, n’utiliseront pas ce type de services avant d’accepter d’assurer ou non leurs clients ?
Conclusion
Malgré les nombreuses questions qu’elle pose encore -compte tenu notamment de son caractère très récent- la génomique présente déjà de multiples avantages : confirmer certains diagnostics, dépister bien avant que la maladie ne se déclare, améliorer et affiner la prise en charge des patients, identifier les personnes à risques accrus ou encore diminuer les effets négatifs de certains traitements [6-7]. Aujourd’hui souvent cantonnée à des maladies rares en raison du domaine encore limité de la recherche, il est probable que dans les vingt années à venir, elle s’ouvrira à de nouveaux champs d’application, dont celui des pathologies multifactorielles (Maladies complexes dans lesquelles interviennent plusieurs gènes et un environnement particulier) telles que les maladies cardiovasculaires, l’asthme, le diabète, ou encore certaines maladies rhumatismales chroniques [22]. En attendant, son application devrait rester strictement limitée aux domaines dans lesquels elle peut garantir les résultats de ses recherches, ce qui n’est malheureusement pas le cas : entrevoyant les perspectives de ce marché fructueux, de plus en plus d’entreprises privées proposent des services de génomique personnelle sur Internet au mépris de la plupart des règles éthiques. Face à la publicité qu’elles font pour développer leur clientèle, les médecins ont du mal à se positionner, d’où la décision de certains d’entre eux de plaider pour l’abolition du dépistage génétique en l’absence de supervision appropriée par un praticien ou d‘une consultation génétique [16]. Extensible au domaine de la génomique, cette proposition va dans le sens des efforts de l’American College of Medical Genetics selon lequel, les tests génétiques devraient être fournis au public seulement à travers les services d’un professionnel de la santé dûment qualifié [23].
Sandra Franrenet & Pr Grégoire Moutel
Bibliographie
[1] Peerbaye A, La construction de l’espace génomique en France : la place des dispositifs instrumentaux. Thèse de l’École normale supérieure de Cachan, 2004, http://tel.archives- ouvertes.fr/tel-00133687/fr/
[2] Orsi F, Moatti JP, D’un droit de propriété intellectuelle sur le vivant aux firmes de génomique : vers une marchandisation de la connaissance scientifique sur le génome humain Économie et Prévision 2001/4-5, n° 150, p. 123-138, http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=ECOP&ID_NUMPUBLIE=ECOP_150&ID_ ARTICLE=ECOP_150_0123
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